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Je suis assis, à moitié couché, de fait, à la terrasse d’un café de Göreme en Cappadoce. C’est l’un des rares sites touristiques que j’affectionne. C’est un lieu assez unique dans lequel j’aime à me perdre au gré de longues randonnées. Ceci dit, difficile de laisser Utopia seule avec tout l’équipement dessus. D’ailleurs, elle m’a réservé une mauvaise surprise ce matin : câble d’embrayage à moitié sectionné. Cela a été réparé dans l’heure mais je n’ai plus de pièce de rechange si le second venait à casser.
J’espère rencontrer Sjaak, un hollandais non pas volant mais certainement fou, dont je vous parlerai une autre fois. Nos routes doivent se croiser mais autant que faire se peut, j’aimerais éviter qu’elles ne se croisent en roulant… Donc j’hésite à repartir, il n’est plus très loin. Du coup, et puisque je suis en ici, j’ai décidé de vous raconter une histoire, vrai, sur une passion qui a transformé la région.
J’ai hésité quant au titre. « Histoire d’une startup », « de la passion au business », ou encore « mercantilisme quand tu nous tiens »
Finalement, j’ai décidé de l’appeler « Il était une fois »
Il était une fois, donc, une jeune étudiante anglaise, Kaili. Un jour comme job d’été, elle devint équipière pour une société organisant des séjours touristiques avec vols en Montgolfière pour des américains dans les châteaux de la Loire. Le chef Pilote s’appelait Michel Bergounioux, l’un des pionniers de la Montgolfière en France. Il était devenu pilote après avoir suivi un ballon jusqu’à son atterrissage. Il demanda à l’énergumène qui sortit de l’aérostat comment faire pour devenir lui-même pilote. Quelques années plus tard, il rencontra sa femme, Monika, en se posant devant sa maison. Des histoires d’amour qui commencent ainsi, cela ne s’invente pas. L’été, il pilotait en France, et l’hiver aux USA à Monument Valley. Si vous avez eu, enfant, un cahier d’écolier Ushuaia comportant le dessin d’une Montgolfière, sachez que c’était la reproduction de la sienne.
Pour en revenir à Kaili, elle se découvrit une passion pour la montgolfière et ne tarda pas à devenir pilote elle-même. Un jour, elle partit avec son compagnon, Lars, lui-même pilote, faire quelques vols d’essais en Cappadoce. Ils tombèrent amoureux du site et lorsqu’un hôtelier leur proposa de monter une affaire, et de les embaucher comme pilotes salariés, ils acceptèrent immédiatement. L’association dura deux ans, aux termes desquels l’hôtelier décida d’arrêter : l’affaire n’était pas rentable. Ce fut sans doute la plus mauvaise décision de sa vie. Lars et Kaili ne voulurent pas abandonner et vendirent tous leurs biens pour s’acheter deux ballons ainsi que les véhicules nécessaires. C’était en 1991.
Pour la petite histoire, les ballons étaient de la marque Ultra Magic, une entreprise espagnole, créée par 3 amis quelques années auparavant, après qu’ils aient entrepris en 1981 de reproduire le voyage imaginé par Jules Vernes : « 5 semaines en ballon ». Leur voyage à eux dura 11 mois, de Zanzibar au Congo, au terme duquel, ils mirent 3 semaines à extraire leur ballon de la jungle équatoriale dans laquelle ils avaient réalisé leur dernier atterrissage.
Pour en revenir à Lars et Kaili, les premières années furent difficiles : les vols étaient chers, les clients peu nombreux. Ils arrivèrent néanmoins à embaucher un 3ème pilote en 1998 : Mike. Petit à petit, l’affaire devenait rentable, à telle point qu’en 2001 une première compagnie concurrente vînt s’installer.
Il y eut de plus en plus de ballons en l’air au petit matin, les guides commencèrent à en parler et dans les années 2000 ce fut l’explosion : environ 20 ballons au total en 2004, 50 en 2009, 70 en 2011 et jusqu’à 150 ces dernières années pour une vingtaine de compagnies. C’est toute l’économie de la région qui s’en trouva bouleversée. Un ballon commercial de la taille de ceux que l’on trouve ici, cela représente une moyenne de 5 à 7 personnes par ballon (le pilote, le chauffeur du bus pour les clients et les équipiers au sol) soit près de 1000 personnes travaillant directement pour les ballons, sans compter les personnels administratifs. De plus en plus d’agriculteurs délaissèrent leurs champs pour devenir équipiers. D’autant, qu’ils recevaient des indemnisations de la part des compagnies de ballons pour compenser les pertes de cultures dues à l’atterrissage des engins. Kaili et Lars quant à eux, vendirent leur affaire et se retirèrent en 2009. Cela marqua un tournant. Ce qui était une affaire de passionnés, devint un business piloté par des financiers, dont le principal souci était la rentabilité. Cela donna lieu à de nombreux abus, qui engendrèrent une multiplication des incidents, voire accidents de vols qui entrainèrent à leur tour un durcissement de la réglementation. De plus en plus de pilotes furent formés en Turquie et les salaires chutèrent brutalement.
Les pilotes étrangers désertèrent le site – Mike (le grand) pilote désormais au Kenya. (Update : il a par la suite piloté en Namibie puis Asie. Il est, je crois à la retraite désormais)
Voilà, comment deux passionnés ont transformé l’économie d’une région entière et permis à des milliers de personnes de découvrir la Cappadoce de la plus belle façon qui soit : en volant.
Kaili est décédée d’un cancer en Novembre 2018. Merci à elle, ainsi qu’à Lars et Mike pour tous les vols que j’ai pu faire grâce à eux dans cette région. Ce sont des souvenirs inoubliables.
PS Les photos ont été prises il y a quelques années.
Update juin 2024.
Il est une histoire – tragique – que je n’ai jamais racontée sur ce site. Cela s’est passé en mai 2009. Lars et Kaili avaient décidé de vendre leur affaire. Le compromis a été signé au mois de mai. J’y étais à l’époque. Je montais dans les ballons selon la place, souvent avec Kaili. Parfois avec petit Mike. (il y avait 2 Mike, le grand embauché en 98, et le Petit Mike, neveu de Kaili.)
Le lendemain de la vente, il y a eu réunion de l’ensemble des équipes. Le message était : “nous n’avons jamais eu d’incident de vol en 20 ans, ce n’est pas le moment d’en avoir un”.
Le surlendemain, terrain de décollage. 3 ballons des vols “de luxe” (seulement 10 passagers et 2 h de vol) : Lars, Kaili, Petit Mike.
Au décollage, j’ignore pourquoi, je décide de ne pas voler ce jour-là. J’étais là-bas pour m’améliorer (je suis pilote, et encore assez novice à cette époque), et le travail au sol est également très formateur. Donc ce matin là, je suis resté au sol.
10 min après le ballon de Mike s’est crashée. 400 de chute, vitesse d’impact presque 12m/s soit 40 km/h sur l’unique dalle de béton aux alentours (c’était des champs). Nous avons été 3 sur place en premier à assurer les secours (une partie du team et moi, les autres n’avaient pas eu le temps de sauter dans le 4X4, tellement le chef team avait démarré rapidement). Bilan : 1 mort, 9 blessés grave (jambes totalement broyées, de la guimauve) et 1 blessé léger : petit mike (il était jeune, sportif et… petit. Donc dans le compartiment pilote, il y avait un faux plancher; ce qui a dû servir un peu d’air bag, je pense. De plus, il a possiblement pu amortir le choc avec ses bras grâce au cadre de charge du ballon au-dessus de lui, lequel est monté sur canne en fibre de verre. ).
Pourquoi ce crash ? UN malheureux concours de circonstances comme toujours dans les accidents. Lars précédait de peu Mike. Il est monté. Il s’est alors retrouvé dans un double phénomène météo : un 180 ° de changement de direction du sens du vent qui l’a amené AU-DESSUS de Mike + une inversion thermique (couche d’air chaud) qui l’a fait descendre. Dans le même temps, Mike a entamé une montée. Le haut du ballon de Mike a touché la nacelle de Lars ET s’est coincé dedans. Lorsque les deux ballons se sont écartés l’un de l’autre, le haut du ballon de Mike s’est ouvert comme un oeuf à la coque.
15 ans après, je me demande encore pourquoi j’ai décidé de ne pas voler ce jour-là…
J’ai perdu contact avec Lars après la mort de Kaili. Petit Mike vit avec sa femme en Nouvelle-Zélande et a (à ma connaissance) définitivement abandonné la montgolfière. Il faut dire que c’était son second accident aérien. Le premier ayant eu lieu en parachute.
Le commentaire qu’à laissé Kaili sous ce post est je crois le dernier message que j’ai reçu d’elle. J’étais sur les routes à l’époque. Je pouvais voir qu’elle lisait mes articles. Mais, elle ne répondait plus. RIP Kaili.
2 Comments
Thanks for the compliments in your article J-J. Many memories of happy experiences shared with good friends and loyal colleagues. Amongst the most precious was the simple natural beauty and tranquility of Cappadoce: Farmers with their ponies ploughing fields at sunrise, the ancient irrigation systems hidden in the valleys where the locals tapped these hidden resources and tended to their tomatoes and grapes….but a thousand jobs in a new kind of tourism have had their advantages too, and I hope all these elements can survive into the future in harmony.
Biz J-J, et Bon Voyage,
K
Maybe u shud have posted ur latest pictures