Ce qui frappe en premier lieu, lorsque vous la voyiez, ce sont ses magnifiques yeux verts encadrés par une chevelure couleur feu. Son sourire luminescent aussi. La demoiselle est fort jolie, cela ne fait nul doute. Et encore, « jolie » ne suffit pas à lui rendre hommage. Pourtant, ce n’est ni son charme certain, ni sa beauté qui la caractérisent le mieux. Elle ne va pas aimer que je l’écrive mais c’est réellement une femme exceptionnelle. Elle est Tunisienne, médecin, féministe et activiste dans le sens noble du terme. Sa vie est faite d’engagements : MSF durant quelques temps (Afrique, Bangladesh, Haiti) mais également création d’associations sur le droit des femmes aussi bien en France qu’en Tunisie. Elle est libre d’esprit et de choix. Je pense que le terme “Humaniste” est celui qui la définit le mieux, à l’instar d’une autre de mes amies, tout aussi exceptionnelle : Elisabeth Carrier (Auteure de “Entre les rires et les larmes”, ainsi que de “En mission”, deux livres qui retracent sa vie consacrée au CICR sur tous les lieux d’urgence durant près de 40 ans).
Elle écrit un blog, de manière épisodique, mais entre son travail aux urgences dans un hôpital parisien, les masters qu’elle passe pour être meilleure encore et son travail en service cardio, elle n’a guère le temps (et quand elle a le temps, elle peint ou prépare des repas “cannibales” 🙂 ).
Vous trouverez l’intégralité de son blog ici
Pour l’heure, et c’est ce qui m’a amené à écrire ce billet, je vous invite à lire le dernier post qu’elle a écrit.
Je ne vous en dis pas plus. Lisez !
Bintou n’avait pas encore 18 ans quand sa mère est venue la voir, un après midi, alors que le soleil se couchait pour lui annoncer un grand événement; il fallait se préparer, Bintou allait se marier avec l’un des plus beaux et des plus riches jeunes hommes du village.
Bintou appartenait a une famille bourgeoise, elle a toujours été gâtée; née dans le berceau des traditions, elle a été éduquée au respect le plus absolu des règles sociales, elle était une jeune fille modèle, elle rayonnait innocence et obéissance pour le plus grand plaisir de ses parents.
Bintou a eu le plus exubérants des mariages, les invités affluaient des quatre coins du Sahara; les cadeaux, les rires, les chants, les danses…Ce festival du Grand Désert dura pendant une douzaine de jours ou les journées étaient chaudes et conviviales et les nuits fraîches et joviales.
Après quelques mois, Bintou explora les douleurs les plus atroces lors de son accouchement de son premier enfant; elle endura un passage brusque vers une vie d’adulte;
Ce premier enfant était attendu de la part de toute la tribu, ils attendaient impatiemment l’héritier de l’honneur familial;
A la place de donner vie aux attentes des chefs de la tribu, Bintou eût une petite fille toute fine et menue, une petite créature douce et fragile qui criait tout le temps et elle succomba aux caprices de cet ennemi juré de Morphée;
Aprés une semaine, le mari de Bintou entra doucement dans la chambre, il était grand de taille, avait des yeux pétillants et un sourire léger omniprésent. Bintou, qui n’a jamais su ce qu’est l’amour avant, avait toujours cette sensation exquise semblable à une brise qui parcourt sa peau fine à chaque fois que leurs yeux se croisaient; elle était amoureuse.
Ce matin, le grand si doux demanda à Bintou de prendre son bébé; Bintou lui donna la petite créature qui venait tout juste de s’assoupir; il l’a prise dans ses bras, embrassa son front et sorti en l’emmenant sans dire mot.
Bintou sentit son cœur s’arrêter de battre, elle ne comprenait pas; ce sentiment de danger imminent et inexpliqué.
Quelques heures plus tard le grand aux yeux doux revint mais son regard n’était plus le même, quelque chose semblait s’être éteinte au plus profond de son âme.
Il redonna la petite chose à Bintou; l’enfant avait le visage vultueux, les draps étaient rouges sang;
Bintou le regarda la peur au ventre;
“Il fallait le faire” dit-il “Maintenant, les chefs sont satisfaits”;
Le petit hominidé a subi une opération chirurgicale; il fallait lui couper les petites lévres et le clitoris; sinon elle grandirait dans la honte et la débauche.
Bintou avait elle aussi subit cette opération, elle avait l’impression d’avoir oublié cette horreur; elle revivait sa douleur à travers son enfant et sa souffrance était juste exponentielle.
Comment son bien aimé, ce doux aux yeux pétillants, as-t-il pu permettre cette abomination; pire, y adhérer, y participer;
Lors de leurs premières nuits ensembles, Bintou lui avait ouvert son cœur et lui avait décrit la monstruosité de ce qu’elle avait subit enfant;
Il avait même pleuré;
C’était incompréhensible, injuste et méchant.
Bintou, en bonne épouse et en bonne fille d’honorable chef de tribu a avalé sa douleur dans le plus grand des silences et a essayé de faire comme si cette journée n’avait jamais existé.
Quelques mois plutart, Bintou était encore enceinte; les chefs de la tribu se réjouissaient à l’idée d’avoir finalement un héritier mais Bintou était effrayée.
L’accouchement se déroula normalement; encore une petite créature menue, encore une petite fille fragile…
Le grand aux yeux doux n’osait plus regarder Bintou dans les yeux.
Il n’avait rien dit, il avait embrassé sur le front le nouveau né;
Personne ne pourra décrire la violence de la tornade qui a éclaté à ce moment précis dans la tête de Bintou; une rage inégalée lui colonisait le corps;
Elle était décidée, elle le fera, elle le fit, elle est partie.
J’ai rencontré Bintou aux urgences d’un hôpital dans la zone parisienne;
Elle a tout laissé derrière elle, argent, famille et honneur;
Elle était là, une nuit d’août, seule avec les deux petites ennemies de Morphée.
Elle a entrepris les plus dangereux des voyages pour sauver sa fille; elle ne voulait pas qu’une autre femme subisse ce supplice.
Bintou n’est pas réfugiée politique, elle n’est pas migrante économique, elle est juste humaine;
Elle a fait sa révolution, douce et silencieuse mais si forte et pleine de sens.
Les femmes comme Bintou ne bénéficient d’aucune convention, l’humanité ne leur accorde aucune grâce.
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