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Je ne le connais pas vraiment. Juste un contact sur Facebook. Un humanitaire. Cela fait quelques années que je le suis. Il a sur ces dernières années quelques missions “dures” à son actif. Il utilise l’écriture comme viatique à sa souffrance, un moyen comme un autre d’évacuer ses angoisses, son trop plein d’émotions. Il a un style bien à lui, percutant, poignant, dérangeant même. Il tient un blog : http://whiteshamanroad.over-blog.com.
En voici deux extraits, suivi de quelques-uns de ses Posts FB, fait durant sa mission RCA en 2013. Âmes sensibles s’abstenir. Ses textes sont vraiment tout à la fois dures et magnifiques. Ses textes, ce sont des coups de poing dans la gueule. Mais pas un seul. Non chaque phrase.
Une fille marche
il y a cette fille dont chaque pied dépasse l’autre sur un destin de terre…
ses bras semblent danser comme ivres le long de ses hanches pour accompagner la course de ses pas…
son regard ne regarde rien, ses yeux sont égarés dans un monde sans pensées…
elle a un frêle tissu qui s’accroche sur ses épaules comme une feuille déjà morte dans un pays sans automne…
de vieux habits aux couleurs du passé , un peu sales, un peu troués, un peu inutiles, qui essaient maladroitement de cacher une nudité dont elle n’a que faire…
elle à l’age de s’asseoir sur les bancs d’une école, l’age de jouer , de rire et de ne pas avoir de haine…
elle a cet âge, mais cet âge ne l’a pas…
elle a une petite tâche de sang entre ses jambes, comme les larmes qu’elle n’a pas su verser quand cinq hommes l’ont violée comme pour la punir d’être juste là.
UN VIEUX QUI PLEURE
il y a un vieux qui pleure…
j’ai pas l’habitude de voir pleurer les vieux,
d’habitude, je vois plutôt pleurer les cieux…
il pleure parce qu’il a la main qui pleure aussi…
mais elle, ses larmes sont de sang…
et la grimace de son visage se reflète sur sa main…
il a trois doigts qui pendent bêtement…
oui, c’est bête un doigt qui pend…
et trois encore plus…
un coup de couteau tout jeune,
plus jeune que lui en tout cas…
un couteau qui a du connaitre plus de sang que le sien…
il passait par là,
il a pas voulu obéir à de jeunes fous,
ils étaient trois…
comme ces doigts…
eux aussi ils pendent…
aux fils des parques…
attendant le même couteau…
ils sont pas loin là bas..
ils rient comme une blague réussie…
lui, il pleure prés de moi…
ses larmes coulent comme son sang,…
sans retenue…
mais qu’est ce que je peux faire moi?
il y a déjà trop de larmes et de sang….
il veut que je l’emmène à l’hôpital…
mais il y a plus de risque à aller là bas que le laisser ici…
même pour nous deux…
je pourrais le soigner,
le recoudre même peut être…
ça serait pas pire que ce qui l’attends….
gangrène au pire…trois doigts en moins au mieux…
mais je peux pas…
il pleure…
un vieux qui pleure, ça fait douter du monde…
les enfants pleurent,
pas les vieux…
il a deux ou trois fois ma vie…
et il va rester là…
parce que je peux pas…
et je dois lui dire non…
je dois lui dire de se démerder…
je lui donne 2000 francs,
le quart d’un paquet de clopes..
mais je peux pas plus…
je ne dois pas plus…
le sacrifice d’un pour le groupe…
jusqu’à ce qu’on soit celui là…
et le monde parait injuste alors…
le berger abandonne son troupeau
pour chercher la brebis égarée…
mais je ne suis plus berger…
je suis face à mes choix,
et mon choix c’est de le laisser là…
et c’est le bon choix…
et c’est horrible…
il pleure..
mais je crois que la douleur ne le fait pas pleurer…
je crois que ces larmes sont ses cris
qui fusent dans ses yeux…
ses cris de non compréhension,
ses pourquoi…
auxquels je n’ai aucune réponse
si ce n’est un sourire qui vient du cœur…
comme le seul pansement que j’aurais…
comme pour taire ma profonde et terrible colère,
comme si ce soir, encore…
j’avais étais plus blessé que lui…
par mon impuissance et ma puissance plus…
à déterminer qui doit être sauvé et pas l’autre…
c’est cette colère qui me tient debout…
elle me donne une force terrible…
une puissance sur moi-même inouïe…
où la maladie courbe la tête,
où la fatigue n’ose le moindre mot même si elle est là…
il y a cette colère …
déguisée en un vieux qui pleure…
et ces enfants qui rient,
autre déguisement…
un vieux qui pleure,
c’est pire qu’une bibliothèque qui brûle…
un vieux qui pleure,
c’est comme une bibliothèque emplie de livres vierges…
ça n’a plus de sens….
ça fait peur à l’espoir…
et ça rend con le bibliothécaire…
je veux pas pleurer même si j’en ai envie,
ce soir, j’en ai pas le droit…
alors j’utilise mes doigts pour raconter tout ça…
3 vies différentes,
3 doigts qui pendent
3 jeunes fous qui mourront bientôt,
3 cigarettes…
et henrich schliemann qui suit un conte pour découvrir un trésor…
(ben oui …troie!)
Les oubliés : “encore une fois la pluie épargne des vies, mais la fin de la saison des pluies approche… les gens commencent à en avoir marre, et marre aussi que la communauté internationale les ignorent…pas de chance pour eux, quand les médias commençaient à se lasser de la Syrie, ils auraient pu avoir un peu de place , mais les philippines ont pris le relais… la jalousie gronde….des milliers de soldats au mali, même en somalie, et pour la RCA presque rien….après la saison des pluies, la saison des flammes!”
“les centrafricains s’entraînent aux feux d’artifice depuis ce matin, tout le monde y participe… sauf nous, pfff…on s’est vraiment pas s’amuser… bref, la RCA c’est de la balle…enfin des balles..enfin…bref… c’est pas drôle, des gens sont en train de mourir pas loin…”
“est ce que le recyclage des sacs plastiques prend en compte les sacs qui empêchent que les morts se décomposent à l’air libre?
éh!! les écolos?!!!
on devrait pas faire des body-bag en plastique recyclable?
parce que dans certains pays, il y a plus de gens qui sont dans ce genre de sacs qu’il n’y en a qui partent des supermarchés !!!!!!
alors quoi?????!!!
on vous attends….
le pire ce n’est pas de voir…. mais c’est quand meme pas cool…”
“c’est gentil de m’inviter a jouer a toutes les applications FB, voyez vous, là, je suis en plein coeur de bangui, en train de faire des tentes et des latrines dans un hopital au milieu de tirs et d’explosion, parmi d’autres amis qui m’entourent et avec qui je travaille, parmi des blessés par dizaines voire plus… survolé par des avions de chasses et des helicos en rase motte, alors jouer à la belotte multijoueur ou une autre connerie…là pas trop…
mais c’est gentil quand même…”
“la nuit est calme à Bangui,
même si une machette ne fait pas de bruit,
une pleine lune un instant,
au moins y’aura de la lumière dans les camps”
Noel 2013 en RCA
Cher pere noël,
je n’ai pas été trés sage cette année mais j’a ibien fait mes devoirs, si tu as le temps , je voudrais t’envoyer ma liste de cadeaux pour ta venue :
– 110 000 baches pour couvrir les enfants et les meres du soleil et du froid nocturne africain
-15 000 dalles en plastiques pour faire des latrines d’urgence
-50 000 couvertures
-50 000 jerrycans de 20 litres
-15000 chevrons
-5 camions de 23 tonnes
– 4 voitures
-250 000 savons
-1000 kg de clous
-100 marteaux
-50 scies a bois
-100 barres à mines
-1000 personnes courageuses
-30 tonnes de riz
– 5000 litres d’huile
-60 tanks d’eau de 5000 litres avec tuyaux
-1000 kg de chlore
-et un peu de courage si tu en as en stock aussi…
et puis si tu peux empecher les enfants de prendre des haches, des arcs ou de vieux fusils pour provoquer et lutter contre les kalachnikovs ou des lances roquettes, si tu peux empecher que les hommes se séparent en religions, ethnies ou pays, mais qu’ils s’approprient la terre comme seule patrie…
si tu peux donner un sourire contre chaque larme, une main tendue contre chaque arme…
si tu peux faire en sorte que le regard des êtres s’etende vers l’univers et non vers leur propre bonheur personnel, afin qu’ils comprennent que le bonheur personnel est le bonheur commun, et que la seule chose à accomplir dans la vie, c’est savoir dire merci…
je sais que tu as des statistiques de rendement à fournir à coca cola,
en tout cas, si tu viens chez nous, soit prudent, les mecs avec des barbes qui distribuent des trucs se font bruler leur camion…
“un pere noël noir? Dieu est noir, le pere noël , il est normal”
renaud”
donne moi la force de changer ce que je peux changer, la sérénité d’accepter ce que je ne peux changer, et la sagesse d’en faire la différence…
pourquoi devrions nous attendre de mourir pour comprendre que le monde est beau?
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