« L’Afrique c’est dur »
Tels sont les mots d’Alexis avec lequel je discute au téléphone depuis 1h. Je viens de lui annoncer la mort de Claude, un ami d’enfance de son père.
J’ai rencontré Claude en Côte d’Ivoire, pays où il avait grandi mais qu’il avait quitté depuis la fin de son adolescence. Claude avait 68 ans. Il faisait un tour du monde en 4X4 et avait tenu à revenir dans ce pays afin de revoir son ami d’enfance, George, le père d’Alexis.
Puis il avait poursuivi son chemin vers l’Afrique du Sud. Comme moi, ce fut Ghana puis Togo où son 4X4 a subi une grosse avarie. Ensuite Bénin, puis Nigéria pour enfin arriver au Cameroun fin aout.
Bizarrement, peut-être alerté par un sixième sens, je lui avais envoyé un message le 31 août. Je devais découvrir 3 jours plus tard qu’il était mort depuis quelques jours. C’est Nicolas et sa femme, d’autres voyageurs qui ont découvert la tragédie. Je vous laisse lire le récit de ces jours funestes écrit par Nicolas (lien vers sa page en fin d’article).
Attention, ce n’est pas facile à lire.
Donc comme il le dit : « âmes sensibles s’abstenir ».
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28 Aout 2024 – Tibati (Cameroun) : la journée de l’horreur
Attention âmes sensibles. Le texte ci-dessous est cru mais c’est ce que nous avons vécu hier, la journée de l’horreur.
8h du matin, un policier vient nous voir au camion :
– Vous connaissez Claude Ivars ?
– Oui, c’est un copain avec qui nous avons voyagé plusieurs semaines au Sénégal, Guinée-Bissau, nous l’avons revu au Togo et Bénin
– C’est le français qui a disparu depuis 3 jours, nous venons de le retrouver, il est mort.
– Mais mort de quoi ?
– Vous êtes ici la personne qui le connaissez le plus, il faut nous suivre pour identifier de corps
– Et ses chiens ? Il voyageait avec 2 chiens.
– On ne peut pas vous en dire plus merci de nous suivre
– Laissez-moi 15 minutes le temps que je range tout et j’arrive
– Le véhicule est à 20 kilomètres d’ici, on part en moto devant, vous suivez la piste, on se rejoint sur place
– Je roule, je roule, je ne comprends pas, je ne vois rien, il n’y a aucune échappatoire sur le côté, ils sont forcément devant, je continue de rouler, au bout de 40 kilomètres, je vois le dispositif en place, il y a au moins 100 personnes, des dizaines de gendarmes, le moitié du village d’à côté, une ambulance.
– En premier j’aperçois le véhicule, je me gare, descend, les gendarmes me font un passage à travers la foule, c’est horreur absolue, le corps de Claude est allongé sur un matelas à côté du véhicule dans un drap, les chiens nous reconnaissent, ils nous sautent dessus. Je me demande si tout ça est réel, je vais me réveiller.
On me demande d’identifier le corps, comme ça sans tact, c’est l’Afrique.
Ensuite il charge le corps et l’ambulance part.
Je demande ce qui s’est passé, il m’explique que Claude n’a pas été attaqué.
Ils ont retrouvé le véhicule fermé à clé de l’intérieur, les 2 chiens dans la cabine et Claude à l’arrière dans la cellule, ils ont forcé la serrure pour rentrer.
Les questions commencent à pleuvoir, je réponds comme je peux mais je leur demande d’aller au commissariat, ce sera peut-être un peu simple que de faire ça au milieu de la piste avec 100 curieux qui font leurs commentaires sans rien savoir.
On me demande de démarrer le véhicule, comment il fonctionne, qu’est ce qu’il y a ?
Je n’ai pas le temps de répondre qu’il recommence avec d’autres questions, on me demande d’adopter les chiens…je veux bien aider mais va falloir structurer un peu tout ça, on n’avancera pas comme ça.
Ils veulent rapatrier le véhicule à la gendarmerie mais il ne démarre pas, on me demande de le remorquer : je ne réponds pas question vous appelez une dépanneuse. Où sont les papiers du véhicule ? C’est à vous de chercher pas à moi. Je n’arrive pas à rentrer dans le véhicule, c’est trop dur.
Je leur demande, il y a du gasoil ? Bah non, ils n’ont même pas la jugeote de regarder la jauge qui est allumée ! Ils vont acheter du gasoil au village d’à côté mais le véhicule ne veut rien savoir.
Ils me demandent de les retrouver au commissariat pour faire une déposition.
Au bout d’une heure ½ j’arrive la piste n’est pas très bonne.
Je demande aux gendarmes de nous laisser un moment, le temps que la pression redescende.
Nous mangeons un morceau, je passe des coups de téléphone aux personnes avec qui il a fait la traversée du Nigéria et même au Togo où il a gardé contact pour arriver à retracer ce qu’il s’est passé.
Nous passons l’après-midi entière au commissariat à être auditionné, on donne toutes les informations que l’on connaît, l’ambassade de France est informée qui va prévenir la famille, la machine infernale est en route.
On nous demande de rester ici pour être témoin de l’inventaire du véhicule. Un mécanicien est parti pour soit le démarrer ou le remorquer.
A 19h le véhicule arrive, ils ont tellement de tact qu’ils arrivent à le planter dans un trou à côté de la gendarmerie, nous ferons l’inventaire demain matin, aujourd’hui s’en ai trop.
Pas le courage de se déplacer, on s’installe et dormirons dans la rue devant le commissariat.
Ce que l’on sait :
– Claude était diabétique depuis 40 ans, il connaissait sa maladie par cœur, il donnait même des formations.
– La traversée du Nigéria avec son groupe ne s’est pas bien passée
– Il a fait une intoxication alimentaire il y 4 jours
– L’avant du véhicule est enfoncé, il a eu un accident avec un autre membre du groupe il y a 3 jours
– Il avait une infection lymphatique depuis quelques jours, il devait aller à l’hôpital.
Ce que je pense :
-Claude souffrait de solitude, on l’a retrouvé seul, il était malade.
-Il ne se séparait jamais de son téléphone, j’ai retrouvé le téléphone dans la cabine avec les chiens, lui était dans la cellule.
-Il n’a pas cherché d’aide sur la piste qui est passante
– Sa pompe à insuline était débranchée quand le corps a été retrouvé
-Trop c’est trop, son véhicule souvent en panne, lui souvent malade, seul au milieu du Cameroun…
Il faudrait faire une autopsie du corps pour voir de quoi il est mort vraiment mais je ne suis même pas sûr qu’il y ait un doliprane dans cette bourgade.
Depuis plus d’un mois, nous enchaînons les difficultés extrêmes, le voyage est loin d’être un long fleuve tranquille.
29 aout 2024 – Tibati : Encore une journée compliquée
Nous nous réveillons ce matin avec la gueule de bois même si nous n’avons rien bu hier soir. A travers notre fenêtre nous voyons le Land Rover et les chiens de Claude comme lors de nos bivouacs au Sénégal, mais lui n’est pas là. Nous ne le reverrons jamais. Le Chef de secteur de la gendarmerie veut encore nous auditionner pour éclaircir certaines zones ombre, malheureusement nous n’avons pas passé les 2 dernières semaines avec lui, nous ne pouvons pas répondre à certaines de ces interrogations. La différence de culture fait qu’il a du mal à comprendre nos choix de vie, ce que l’on est venu faire ici si loin de la France. Nous attendons impatient le procureur de la République pour faire l’inventaire des effets personnels de Claude, ils veulent que l’on soit présent car nous sommes une partie neutre sans parti pris. Monsieur se présente à 11h30, l’inventaire commence, il durera 3 heures. Beaucoup d’objets leur sont inconnus, il me demande les noms pour le consigner dans le rapport. Tout est sorti du véhicule à même le sol, ils ne prennent pas beaucoup de précautions jusqu’au moment de trouver un livre du Coran, ils sont abasourdis, il tienne le précieux livre comme un lingot d’or, il est protégé comme un nouveau-né. Il me demande si Claude était musulman, je ne réponds pas et leur explique que l’on peut posséder une bible ou un coran sans être croyant, encore une fois ils ont du mal à me croire, ils me demandent plusieurs fois pourquoi il a tant d’objets, à quoi ça sert, je leur explique qu’ils sont dans la maison de Claude, qu’il vivait là, que c’était son choix, le choc des cultures encore une fois n’est pas simple. L’inventaire fini, tout est jeté dans la voiture, un garagiste arrive est part garer le véhicule dans une brigade je ne sais où. Les chiens sont là, assistent à tout ça, ils ne comprennent pas. Nous avons trouvé pendant l’inventaire, la réserve de croquettes, je leur en donne une poignée chacun, mais ils ne mangent pas. Nous attendrons 2 heures que le malheureux gendarme tape son inventaire et qu’il l’imprime. Il est 16h30, un peu tard pour partir, mais on se dit qu’il faut se déplacer un peu histoire de changer d’air. On prépare le camion et en mettant le contact, le tableau de bord fait sapin de Noël et des messages d’erreurs pleuvent de partout. Je suis lessivé, je n’arrive plus à réfléchir, je ne comprends pas, il fonctionnait à merveille la dernière fois que je me suis garé. Il y a trop de messages d’erreur pour que ce soit vrai, c’est impossible. Je regarde quand même au préfiltre gasoil car il me signale de la présence d’eau, pourquoi pas avec le gasoil nigérian, j’ouvre la purge, en prends une bonne giclée partout sur moi ! J’arrête j’en ai marre…J’envoie quelques messages au copain pro Iveco, comme à leur habitude, ils sont réactifs (je l’ai remercie encore une fois, ils se reconnaîtront) et je finis par trouver la panne à la lumière de ma lampe frontale. Ouf, demain on peut partir.
30 aout 2024 – Le cauchemar continue
Ce matin, nous pensions être tirés d’affaire, nous voulions repartir pour changer d’air et tourner la page. De bonne heure, ils ont ouvert le porte de la gendarmerie, les chiens se sont échappés et ont tué 5 poules dans le village, les villageois qui n’ont déjà pas grand-chose viennent se plaindre à la gendarmerie, c’est le bordel, j’avais prévenu 10 fois de faire attention mais il n’écoute jamais le petit blanc qui vient leur donner des conseils. Les gendarmes nous demandent de prendre et d’adopter les 2 chiens de Claude. Il n’en est pas question, nous passons des coups de fil à Yaoundé la capitale pour trouver une structure accueil, nous en trouvons une qui veut bien les prendre pour les placer en famille accueil. Au moment de partir, on change d’avis et nous avons bien fait, ce n’est pas à nous d’assumer cette responsabilité et si l’ambassade de France ou la famille de Claude se retournait contre nous et nous accuse d’avoir pris une mauvaise décision ! Trop c’est trop, on dit au revoir à tout le monde est on prend la route. Le pire reste à venir, les mauvaises nouvelles vont plus vite par internet que par la voie diplomatique. Les enfants de Claude nous contactent pour savoir ce qui se passe, depuis 3 jours personne ne les a contactés, ni le ministère des Affaires étrangères ni l’ambassade de France, ils sont dans le désarroi complet, ils ont appris la mort de leur père par internet. Officiellement Claude n’est pas mort, personne n’a d’information à ce sujet. Ils ne peuvent lancer aucune procédure car il n’y a pas de certificat de décès. Qui n’a pas fait son boulot ? Les gendarmes camerounais, le procureur, l’ambassade de France ? Personne ne sait rien, c’est inimaginable. On donne toutes les informations que l’on possède pour faire avancer les choses mais nous sommes vendredi, la seule réponse qu’ils obtiennent en fin d’après-midi c’est : nous sommes en week-end, merci de rappeler lundi matin ! Le coup de massue arrive hier soir juste avant de se coucher. Depuis quelques jours nous n’avions plus de nouvelles de Juan, un copain argentin qui descendait l’Afrique en vélo. Tous les jours nous partagions notre position réciproque pour se tenir informé de notre progression et d’éventuels problèmes rencontrés sur la route car comme nous il traversait le Nigéria, sans nouvelle après plusieurs messages, nous étions très inquiet mais comme le réseau n’est pas formidable il n’y avait pas de quoi s’affoler. En faisant des recherches, nous apprenons sa mort par les médias argentins, il s’est fait faucher par 2 voitures au Nigéria. Putain mais c’est quoi ce bordel, merde, merde, merde et merde. Juan était d’une extrême gentillesse, il était un photographe reconnu, il savait capter le regard des autres à travers ses clichés. Je suis dégouté. Pourquoi lui, il avait traversé la terre entière avec son vélo.
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Voici les récits des 3 jours qui ont marqué la découverte de la dépouille de Claude (sur la photo illustrant cet article, c’est celui le plus en arrière plan. Nicolas l’auteur de ces textes est à gauche et sa femme prend le selfie).
En ce qui concerne, Juan dont j’avais parlé précédemment, son corps est arrivé en Argentine il y a 2 jours seulement. Il est désormais parmi les siens qui ont pu lui rendre un dernier hommage.
L’Afrique c’est dur comme le dit Alexis qui sait de quoi il parle, puisqu’il vit en Afrique depuis sa naissance et exerce dans un secteur assez difficile. J’ai pas mal hésité avant de retranscrire cette histoire. Mais c’est également cela le voyage, même si 2 décès de compagnons de route en 10 jours reste un événement assez exceptionnel fort heureusement.
Si vous voulez suivre Nicolas et sa femme, vous pouvez le faire soit par polarstep (il vous faudra ouvrir un compte), soit via leur page Facebook.
Pour ma part, tout va bien. Je vous ferai un petit post plus gai d’ici peu avec les projets à venir, le récit d’une aventure sympa et l’annonce d’un nouvel article qui doit paraître à la fin du mois.
1 Comment
Qu’ils reposent en paix,
L Afrique c’est dur.
Mais aussi dangereux parfois.
Et quand ça te tombe dessus, t ‘es souvent seul.
Courage à leurs proches et amis