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Voici le portrait de Margaux, la compagne de capitaine Morgan. L’article est paru dans le Road Trip Magazine N°86. L’itinéraire improbable d’une jeune parisienne que rien ne prédestinait à parcourir l’Afrique à moto. Il aura suffit d’une rencontre – et d’un confinement – pour qu’elle passe des pavés parisiens aux sables africains, du confort occidental à la rude Afrique.
Pour ma part, cela sera mon dernier article pour Road Trip. Si mon compte est bon, c’est le 29eme et ma trentième publication (l’un de mes articles ayant été publié deux fois).
Bonne lecture !
J’ai longtemps cherché la meilleure manière de présenter Margaux. Je n’y arrivais pas, à tel point, que quatre jours avant le bouclage du magazine, je n’ai toujours pas écrit une seule ligne d’un article pour lequel j’ai réalisé l’interview il y a déjà 4 mois ! Autant vous dire que Collin, mon rédacteur en chef, commence à être sérieusement sur les nerfs. Et puis là, d’un coup j’ai compris le pourquoi de ce syndrome de la page blanche. Margaux est une sorte de pierre précieuse. Je ne saurais vous dire si elle est diamant, émeraude ou rubis mais à l’instar de ces pierres taillées, elle présente plusieurs facettes, plusieurs visages selon la manière dont on la regarde. De là, nait la complexité pour l’écrivaillon que je suis de la présenter en lui rendant honneur. J’avais pensé un instant la comparer à Calamity Jane. Mais elle n’a pas été d’accord avec cette analogie. « Ce n’est pas ce que je fais », m’a-t-elle répondu d’un ton sans appel. Parce que la demoiselle a du caractère. Sans doute du fait de son ascendance polonaise côté paternel. C’est d’ailleurs ce caractère bien trempé que l’on perçoit d’emblée chez elle qui m’avait fait penser à la célèbre aventurière ainsi que son allure de baroudeuse aguerrie – couverte de tatouages – au côté de sa moto. Outre cette personnalité, elle se démarque également par un humour parfois un peu trash. N’a-t-elle pas surnommé sa moto « Katsumi » d’une part parce que c’est un prénom d’origine japonaise, comme sa Honda CB500 X, mais aussi, et surtout parce que c’est le nom d’une « célèbre » actrice de films pour adultes et que sa moto comme cette dernière « a pris cher durant ce voyage et que chaque matin, elle démarre, pimpante et prête à encaisser toute la journée ».
Margaux se revendique féministe, mais d’un féminisme sexy. Elle assume son corps et aime à s’habiller de vêtements courts et moulants. Son crédo est « Boobs and Beers ». Voilà pour la Margaux baroudeuse un peu provocatrice telle qu’elle se présente sur les réseaux sociaux. Une heure de discussion avec elle, laisse toutefois paraître une Margaux assez différente. Une personne d’une profonde gentillesse non dénuée de douceur, voire d’une timidité intrinsèque.
Elle est née et a grandi à Paris, dans le quartier de Pigalle pour être précis. Sa grand-mère y tenait un hôtel. Après le bac, elle s’est inscrite en médecine sans grande conviction. Elle n’a pas aimé et a pris un job dans une boulangerie ce qui lui a permis de comprendre une chose sur elle-même : elle adore le contact humain. A côté de la boutique où elle bossait, il y avait une école de journalisme. Elle s’y est inscrite. C’est ainsi qu’elle a découvert, presque par hasard, sa vocation : le journalisme. C’est lors d’un stage dans une boite de production de reportage qu’elle a rencontré celui qui allait changer sa vie : « Capitaine Morgan ». À cette époque, elle n’avait pas le permis auto, inutile pour la Parisienne qu’elle était, et encore moins de permis moto. Et là, elle rencontre un homme qui a voyagé à moto dans des pays qu’elle ne sait même pas situer sur une carte. Nous sommes début 2020. Le Covid vient bouleverser le monde. Morgan et elle se confinent ensemble. Dans les quelques m2 de leur appartement s’ouvre à elle un monde insoupçonné. Un monde d’aventure et de moto. De sueur et de rires. De galères et coups du sort. Une fois le confinement terminé, elle passe, non sans mal et multiples échecs, son permis moto début 2021. Sa première monture est une Royal Enfield vite remplacée par une Honda CB500X achetée en juillet 2021. Deux mois plus tard, elle qui n’était pour ainsi dire jamais sortie de Paris s’embarque pour son premier Road Trip vers l’Espagne, lequel se solde piteusement par un pied cassé lors d’une chute dans le désert des Bardenas. En janvier 2022, Morgan repart en voyage avec un de ses amis sur les continents américains. Elle les rejoint brièvement au Costa Rica où elle loue une KTM 690 afin de les suivre. Le souvenir le plus prégnant qu’elle garde de ce premier voyage est la peur. Peur de tomber, peur de se faire mal encore. Il faut dire que Maxime et Morgan, voyageurs aguerris privilégient les pistes aux routes.
En septembre 2022, les deux amis reviennent en France et commencent à préparer la traversée du continent africain. Pour ce faire, ils acquièrent des Ténérés 700. Et c’est là que Morgan lui pose LA question : « Veux-tu traverser l’Afrique avec moi ? ».
De prime abord la réponse est NON. Elle a trop peur ! L’Afrique ? Rien que çà ?! C’est du délire ! Pourtant, presque sur un coup de tête et au dernier moment, elle met sa Honda qui ne s’appelle pas encore Katsumi, dans le container qui doit amener les Ténérés à Cape Town en Afrique du Sud. C’est ainsi que la petite Parisienne qui n’avait encore quasiment jamais voyagé quitte les pavés parisiens pour le sable africain en janvier 2023.
Au départ, c’est dur, extrêmement dur même. Tout lui faire peur. Les pistes, épuisantes qu’elle aborde le matin un nœud au ventre. Les bivouacs aux mille bruits mystérieux et angoissants pour elle qui n’avait encore jamais campé. « J’étais une vraie flipette », avoue-t-elle. Souvent, elle se cache pour pleurer. Le matin, parfois elle tombe avant même d’avoir démarré la moto. Elle s’en veut de se sentir un tel poids mort pour ses compagnons de route pourtant extrêmement patients et solidaires. Un instant, elle songe à abandonner. Mais sa fierté l’en empêche. Elle ira jusqu’au bout. C’est ainsi que son père l’a élevée. Alors elle continue, vaille que vaille.
Et l’Afrique, dès le départ, va lui donner ses premières leçons. Non seulement de pilotage mais aussi et surtout d’humanité et de solidarité.
Une expérience au tout début du voyage a particulièrement déconcerté la Parisienne qu’elle était. Ce jour-là, le petit groupe décide de s’engager sur une piste pour la toute première fois de cette traversée. C’était alors la saison des pluies en Afrique du Sud et le sol est particulièrement gadouilleux. Elle enchaine les chutes. Sur l’une d’elles, un peu plus violente, elle tord les crash bars et surtout le sélecteur de vitesse lequel reste bloqué en 1ère. A vitesse réduite, et sous un ciel menaçant, ils arrivent un peu dépités devant la ferme d’un Afrikaner auquel ils demandent s’il n’aurait pas des outils à leur prêter afin de réparer. À sa grande surprise, cet inconnu les prend totalement en charge, leur offrant une maison où se reposer, des repas chauds et travaillant jusqu’à tard afin de réparer la moto de Margaux. Pour elle, habituée à l’indifférence parisienne, c’est un véritable choc culturel. Mais pourquoi fait-il cela ? Surtout qu’il refuse toute compensation financière. Elle ne comprend pas. Cela lui semble irréel. Incompréhensible.
Le voyage continue. En Namibie, un autre Afrikaner les emmène durant une semaine rouler dans le Damaraland au nord-ouest du pays. La zone est particulièrement sablonneuse et là encore elle enchaine les chutes. L’apprentissage est d’autant plus laborieux que la chaleur est intense.
Le quatrième jour, alors qu’ils sont presque à court d’eau, la chaîne de la moto de Margaux casse. Ils ont bien une attache rapide avec eux mais c’est Maxime qui l’a. Et celui-ci a pris de l’avance sur le groupe. Margaux part donc seule, à pied à la poursuite de Maxime, laissant Morgan et Chris, l’ami namibien essayer de réparer. Très vite, elle prend conscience de la facilité avec laquelle il est possible de se perdre dans le désert. Rien ne ressemble plus à une dune, qu’une autre dune. Surtout lorsque l’on vient du 9ème arrondissement de Paris. Au final, tout finit bien et ils peuvent repartir.
Quelques jours plus tard, Margaux et Morgan entreprennent d’explorer seuls une autre zone encore plus au Nord : le désert du Kaokoland. C’est la terre du peuple Himba, dont la beauté n’a d’égale que l’isolement. Et là encore, les chutes succèdent aux chutes. Sur l’une d’elles, particulièrement violente, la moto fait un soleil et le guidon se tord complètement. Impossible de continuer. Ils sont seuls dans ce désert quasiment vide avec une quantité d’eau limitée. La situation est critique. Mais l’aventure lui offre une nouvelle leçon de vie importante en voyage : faire confiance en sa bonne étoile. Incrédules, ils voient un 4X4 arriver vers eux comme une providence. Le chauffeur, un namibien noir – la solidarité n’a pas de couleur de peau – les aide à embarquer l’engin dans la benne de son pick-up pour les déposer dans le prochain village composé de trois maisons et d’un lodge en construction. Le chef de chantier met ses outils à leur disposition permettant à Morgan de réparer la moto.
Une fois fait, Ils décident de faire demi-tour afin de rejoindre la civilisation. Las ! Le lendemain Margaux s’aperçoit que le cadre de sa moto est cassé. Le moteur ne tient plus que par une vis en haut du châssis. C’est un miracle d’avoir pu sortir du désert sans que sa monture ne se soit brisée en deux morceaux. Cette fois, il est vraiment totalement impossible de continuer et il leur faut attendre plus d’une semaine dans ce village reculé le passage d’un camion qui approvisionne régulièrement les épiceries locales. Au téléphone l’homme leur réclame une centaine d’euros pour le transport. Mais devant leur extrême dénuement, il refusera finalement tout paiement de peur d’un châtiment divin s’il profitait de la situation pour se faire payer. C’est donc gratuitement qu’il les dépose à Swakopmund, grande ville située sur le littoral.
En Europe, la moto aurait sans doute été déclarée épave. Mais l’Afrique lui offre une nouvelle leçon : celle du système D, tellement important sur ce continent. Là-bas, tout est réparable et quelques jours plus tard, ils peuvent poursuivre leur périple.
Au fil de kilomètres sur ces pistes namibiennes, les chutes continuent et le sol devient son meilleur ami. Un ami quelque peu rude, il faut dire mais qui lui enseigne les bases : lire la piste et apprendre ou placer ses roues. C’est en forgeant que l’on devient forgeron. C’est en tombant que l’on apprend à relever sa moto, et finalement à faire en sorte qu’elle ne tombe plus. Petit à petit, elle prend confiance et le miracle s’opère : la peur disparaît laissant place à l’émerveillement.
C’est en Zambie que s’opère la métamorphose. La nature y est d’une beauté à couper le souffle. La nuit, elle croit presque pouvoir toucher la Voie lactée tellement elle lui paraît proche. Un matin, un troupeau d’éléphants passe près d’eux alors qu’ils sortent de leur tente. Une autre fois, ce sont des lycaons qui jouent non loin de leurs motos. Elle a même l’occasion d’observer de près une maman léopard et son petit, animal pourtant très difficile à apercevoir.
Parfois, l’Afrique s’octroie le droit de lui faire quelques blagues. Comme un matin où, alors qu’elle s’était éloignée de la tente afin de soulager un besoin naturel, elle voit s’approcher, sortant du néant, un joggeur écouteurs sur les oreilles. Il est passé près d’elle la saluant sans regarder.
Durant les mois qui ont suivi, elle a plus appris que durant toute sa vie auparavant. Elle s’est intéressée à la géopolitique, à l’histoire et la géographie des pays traversés. Elle a discuté avec des milliers d’inconnus dont certains sont devenus des amis, même si cela n’a été que le temps d’une soirée de partage.
Et le voyage a continué de pays en pays. Elle a adoré la Zambie pour sa faune et ses paysages, détesté la Tanzanie ravagée par le mercantilisme et le tourisme de masse. Plus récemment, ses coups de cœur ont été le Libéria et la Sierra Leone pour la gentillesse de ses habitants.
Finalement, après 19 mois de voyage, elle et Morgan sont enfin revenus en France. Ils sont passés par le tunnel de Bielsa-Aragnouet dans les Pyrénées, celui-là même par lequel elle aurait dû revenir de son road trip en Espagne trois ans auparavant si elle ne s’était pas cassé le pied.
Elle n’a pu retenir une larme d’émotion et de fierté légitime en passant cette frontière : « Je l’ai fait ! J’ai réussi ! J’ai traversé l’Afrique ! ».
Oui Margaux, tu l’as fait ! Félicitation girl. Et chapeau bas.
Vous pouvez la retrouver sur son profil Instagram : https://www.instagram.com/margaux_nkz/
2 Comments
Hi Jeff !
Toujours un grand plaisir de te lire.
Mais si j’ai bien compris, pour le dernière fois !!
Amicalement,
Anne-Marie
Bonsoir Anne-Marie. Comment allez vous ?
Non non pas la dernière fois . Juste la dernière fois pour le magazine Rozd Trip. Mais probablement pour un autre Mag … 😉