La moto, Pensées vagabondes

On l’appelait l’Africaine

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La porte du garage s’est ouverte et il est apparu dans l’embrassure de la porte. Sans rien dire, il a ouvert le portail extérieur puis s’est assis près de moi. Il avait l’air soucieux.

  • J’ai pris une décision !

Inquiète, je l’ai regardé sans comprendre. Avait-il décidé de me remplacer ? Avait-il finalement trouvé que j’étais trop vieille pour entreprendre un nouveau grand voyage ? C’était ma crainte permanente. Ce jour était-il arrivé ? Je préparais déjà ma défense, je m’apprêtais à lui rappeler ce que nous avions vécu, toutes ces difficultés que nous avions traversées mais aussi ces rires, ces joies, ces frissons ensemble sur les pistes de terre. Oui, j’étais décidée à me défendre. Je refusais avec effroi l’idée qu’il puisse repartir avec une autre.

  • Je vais te rebaptiser !

Je le regardais, interloquée.

  • Me rebaptiser ?! répétais-je sans comprendre.  Mais pourquoi ?

Je le vis prendre une profonde inspiration, puis il dit :

  • Oui, tu t’appelles « l’Africaine » et cette fois nous allons en Asie puis peut-être en Australie.

Je réfléchis un instant. L’argument était censé.

  • Oui, un peu comme si un rallye se déroulant en Amérique du Sud s’appelait le DAKAR, c’est cela ?

Il éclata de rire.

  • Oui, tu as compris. C’est exactement cela.

Agressive, je lui répondis :

  • Qu’est-ce qu’il y a de drôle ?!

Puis sans attendre de réponse, je poursuivis :

  • Et comment veux-tu m’appeler ?
  • Excellente question ! Comment voudrais-tu t’appeler ?

Il m’énerve parfois. Je grommelais tout en réfléchissant. Je hasardais :

  • L’Asiatique ?
  • Pas très original !
  • Ah parce que l’Africaine, c’était original peut-être ?!!
  • Oui, oui tu as raison, ce n’était pas très original non plus, mais keep cool. Oh là là ! Toi et ton fichu caractère. On ne peut rien te dire, tout de suite on se fait tacler.
  • C’est toi qui raconte n’importe quoi ! Mon caractère n’a rien à voir là-dedans. Tu me connais, si tu dis des idioties, je réagis, ne fais pas celui qui tombe des nues !

Puis sans lui laisser le temps de répondre, je continuais :

  • Alors, comment veux-tu m’appeler ?

Il sorti alors une petite photo de sa poche et me la montra. Elle représentait un cheval attaché à une petite chaise bleue. Cette fois, que je commençais à me poser de sérieuses questions sur l’état mental de mon pilote.

  • Un homme, Antoine de St Exupéry a écrit un jour : « Fais de ta vie un rêve, et d’un rêve, une réalité. »
  • Oui, et alors ?
  • Depuis quelques temps, grâce à mon livre, je rencontre des gens qui me disent que j’ai de la chance d’avoir réalisé un tel voyage et qu’ils en rêvent.
  • Pourquoi ne le font-il pas dans ce cas ?
  • Parce qu’ils ont des obligations.
  • Des obligations ?
  • Oui des choses qu’ils sont obligés de faire ou d’accomplir.

Je n’étais pas sûre de comprendre, alors je demandais :

  • Donc ces choses qu’ils sont obligés de faire les empêchent de réaliser leur rêve ?
  • Oui c’est cela, sauf que bien souvent, ces obligations sont des contraintes qu’au final on s’impose à soi-même. On pense qu’il est impossible de s’en affranchir. Un peu comme ce cheval attaché à sa chaise. Il reste là, alors qu’il pourrait facilement partir et entrainer la chaise derrière lui.
  • Oui mais la chaise resterait attachée à lui !

Il esquissa un sourire.

  • Oui mais parfois, il faut savoir faire voler ses petites chaises bleues, pour mettre des couleurs dans sa vie.

Je commençais à saisir ce qu’il voulait dire. Par contre, je ne voyais pas où il voulait en venir.

  • Oui, je crois que je comprends. Mais quel rapport cela a-t-il avec mon nouveau nom ?
  • Ce que nous avons accompli tous les deux, il y a plus de 10 ans et ce que nous allons faire dans quelques mois, beaucoup en rêve, mais n’oseront jamais le concrétiser. Pour eux, à tort ou à raison, cela relève de l’utopie.
  • Oui, et alors ?
  • C’est pour cela que j’ai décidé de t’appeler désormais : « UTOPIA ». Parce que tu es la concrétisation d’un rêve, d’une utopie.

Machinalement je répétais :

  • UTOPIA, UTOPIA. Oui j’aime bien. On va fêter cela ?

Il rit doucement.

  • Oui si tu veux, j’inviterai quelques amis et on fera une cérémonie de baptême. Tu es contente ?
  • Et il y aura du Champagne comme lorsqu’on met un bateau à l’eau ?
  • Oui, il y aura du Champagne, promis.

Il se leva de sa chaise et referma le portail extérieur.

D’un coup, une idée m’est venue.

  • Eh, tu as bien dit que nous allions aller en Australie ?
  • C’est possible, oui. Pourquoi ?
  • Si c’est le cas, cela veut dire que je vais devoir reprendre l’avion ?
  • Il y a des chances oui.
  • Alors, on va me remettre dans une boite, comme la première fois ?
  • Si on prend l’avion, oui pourquoi ?
  • Tu pourras dire à ceux qui feront la boite de faire des trous dedans ?
  • Des trous ??
  • Oui, pour que je puisse respirer !
  • Tu te prends pour un mouton ? me répondit-il dans un éclat de rire.

Et sans attendre, il est sorti du garage. Un mouton ?! Pourquoi me parle-t-il de mouton alors que je lui demande de simples trous pour pouvoir respirer. C’est légitime non ? Parfois, je me demande s’il ne fume pas des trucs en cachette, c’est pas possible.

 

 

 

 

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4 Comments

  • Reply françois 9 février 2018 at 17 h 30 min

    Utopia, ton maître a une belle plume, tu sais. Bon voyage à toi, vivez vos rêves tous les deux !

    • Reply Utopia 9 février 2018 at 20 h 39 min

      Chuuuuutttttttt !!! faut pas le lui dire, il risque de prendre la grosse tête ! déjà qu’il est lourd à porter en ce moment, alors je vous dis pas ! (mais merci pour lui quand même 🙂 )

  • Reply Cailloux 5 mars 2017 at 16 h 45 min

    Le blues te va bien…
    Une panne de RER a bloqué mes velléités de te remettre sur “la piste” à coups de baffes agrémentées d’un vrai chocolat !
    La faiseuse de chocolat©JJB2003

  • Reply Marc 5 mars 2017 at 15 h 58 min

    Longue vie à Utopia donc…

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