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Voici la traduction, assez libre (j’ai essayé de garder l’esprit plutôt qu’une traduction littérale) d’un texte dont vous trouverez l’original ici.
Je suis un horrible phallocrate ! Je viens de m’apercevoir que l’auteur de ce texte est une femme. Je corrige donc les conjugaisons et accords.
A la fin de mon voyage, plusieurs personnes m’ont demandé : comment vas-tu gérer le retour ?
Certains d’entre eux, m’ont même certifié, sur un ton parfois péremptoire voire désapprobateur, que jamais je ne pourrai revenir à la vie « normale ».
Enfin ceux qui faisait ou avait fait un voyage similaire au mien me demandaient « Comment c’est ? » espérant peut-être que je leur indique une « recette » leur permettant de gérer leur propre retour, ou bien tout simplement trouver en moi un compagnon d’infortune avec lequel partager leur spleen.
Voici mes réponses pour chacun d’entre eux.
Aux premiers, je répondrai tout simplement : « Je ne sais pas, je verrai au jour le jour et trouverai une solution, petit à petit »
Aux péremptoires, je leur demande simplement : « Qu’entendez-vous par une vie “normale” ? »
Ce qui est normal pour une personne, peut paraître totalement fou à une autre.
Si, par « normal », vous voulez dire « Comment vas-tu revenir à une vie sans voyage et au quotidien d’un emploi qui te permette de payer tes factures », tout ce que je peux dire, c’est que je le ferai avec joie et reconnaissance, ou tout au moins je l’espère.
Avoir le privilège de voyager comme je l’ai fait pendant deux ans a eu un prix.
J’ai commencé par travailler dur, très dur (avec des semaines de 50 à 60 heures pendant des années) afin d’économiser l’argent nécessaire à un tel périple. Ensuite, durant deux ans, j’ai vécu sur les économies d’une vie, au risque de me retrouver totalement démunie à mon retour, voire de compromettre ma future retraite. J’ai vendu ma maison, me retrouvant, de facto, SDF et lorsque je suis revenue, je n’avais plus rien.
Alors, OUI, j’ai voyagé durant deux ans. OUI, j’ai visité des endroits magnifiques, OUI j’ai adoré vivre ces instants, mais cela a été au prix d’un dur labeur.
Mes journées n’ont pas été passées uniquement à visiter de magnifiques points de vue panoramiques avant d’aller déguster un cocktail exotique sur une plage de sable blanc. Même si effectivement, je me suis attachée à partager avec vous la beauté qui s’offraient à moi, il y a toujours un Yin pour un Yang.
La plupart du temps, mon quotidien a été sueur et poussière. Il a été os et muscles endoloris. Il a été frustration devant la barrière de la langue. Il a été découragement devant des routes infernales. Il a été inquiétude concernant ma sécurité. Il a même été peur pour ma vie parfois.
J’ai dû affronter des réalités dont le mode de vie confortable du monde occidental m’avait préservée jusqu’alors.
J’ai côtoyé des orphelins en guenilles, nus parfois. J’ai vu des familles entières se battre au jour le jour pour survivre au milieu de la puanteur, des ordures et des chiens galeux, peinant à élever quelques têtes de bétails mal nourri et osseux. J’ai senti l’odeur putride de la mort et de la maladie au lendemain de catastrophes naturelles.
Certaines de mes journées ont été intoxications alimentaires, diarrhées, piqûres d’araignées ou de méduses et fièvres.
J’ai passé des heures dans des files d’attente, ce qui s’est traduit par des jours à la fin du voyage.
J’ai passé des journées entières à accomplir de fastidieuses tâches administratives ou encore à rechercher des pièces détachées. De manière générale, mon quotidien était bien souvent consacré aux tâches nécessaires à la survie : marcher sur plusieurs kilomètres jusqu’aux marchés afin de trouver les éléments de base comme la nourriture, l’eau, les médicaments, le carburant, l’huile ou encore les pneus avant de les ramener, en marchant toujours, vers le campement.
Chaque jour, je devais monter la tente, emballer le matériel, laver mes vêtements à la main, coudre et réparer les quelques affaires que je possédais afin de les garder en bon état. Il me fallait également négocier les taux de changes et même parfois, dans les endroits où les cartes de crédit étaient inutilisables, arriver malgré tout à obtenir l’argent liquide nécessaire.
Les changements de climat, la mauvaise qualité de l’air parfois ainsi que l’altitude ont amplifié mes allergies et j’avais de fréquents problèmes de sinus et maux de tête.
J’ai vécu dans des conditions d’hygiène que je n’aurai pas cru possible. J’ai roulé des journées entières et dormi dans ma tente, sous toutes sortes de conditions et climat. J’ai affronté la chaleur et l’humidité extrême de la jungle, les pluies torrentielles, la foudre, des vents insensés, le froid, les insectes par milliers, le sable, les graviers et plus encore. Tout cela vous marque profondément, tel un fer rouge, aussi bien au mental qu’au physique.
A la fin du voyage, ces mois de route et de nuits à même le sol sans aucun confort au travers de deux continents, m’avaient littéralement épuisée.
Clairement et sans aucune prétention, ce genre de périple n’est pas à la portée de tout le monde. Malgré cela, je mesure la chance que j’ai eu de vivre des instants aussi intenses et je suis incroyablement heureuse d’avoir traversé chacune de ces expériences. Mais, en aucun cas, ce n’était des « vacances » et revenir ne signifie pas pour moi le retour à une vie ennuyeuse mais plutôt le retour à un confort et à un luxe dont je mesure réellement désormais la valeur. Le retour signifie aussi être avec ma famille et mes amis qui m’ont tant manqué.
Mon travail a rendu ce voyage possible et mon nouvel emploi m’aidera à rendre mon avenir possible. Je suis donc reconnaissante d’avoir à nouveau un toit au-dessus de ma tête, ainsi qu’un bon travail et j’apprécie de pouvoir enfin me reposer.
Enfin, à mes condisciples, à mes camarades saltimbanques, je leur dis, oui, c’est vrai, revenir est la partie la plus difficile du voyage. C’est dur de rentrer. Non pas parce que vous ne voulez pas être là où vous êtes, non pas parce que ce n’est pas agréable de retrouver les siens, non rien de tout cela. En fait, aucune raison tangible ne l’explique. Même sur le moment j’ai été incapable de définir l’étrange sentiment qui fut le mien. Je n’étais nul part : je n’étais plus dans le voyage, mais je n’étais pas plus de retour dans mon ancienne vie. J’étais quelque part, dans un no woman’s land vague et brumeux, au milieu de limbes incertaines.
Cela fait 6 mois désormais que je suis rentrée (même si j’ai fait quelques petits voyages qui m’ont permis d’adoucir quelque peu cette transition) et un mois que j’ai repris un emploi à plein temps. Je commence à peine à pouvoir analyser cette période.
Durant les premières semaines, j’ai occupé mon temps à dormir, me laver et manger. Exclusivement. J’appréciais le luxe simple du papier toilette, de l’eau chaude de la douche ou encore des WC modernes. Cela a dû sembler un peu drôle, voire étrange et pathétique à mes amis et familles. La vie est si facile ici comparée à celle que l’on a sur la route. Vous n’avez pas à vous préoccuper de chercher les choses, vous n’êtes plus confronté à la barrière linguistique lorsqu’il s’agit d’obtenir ce dont vous avez besoin pour survivre. Pourtant, je n’ai pas pu me résoudre à déballer tout le matériel de la moto. Elle était prête à repartir. J’étais tout à la fois heureuse de revoir les miens mais leur présence avait quelque chose d’oppressant.
J’ai aussi été très surprise par le peu d’intérêt de mes proches sur mon voyage, non pas parce que je pense qu’ils devraient s’en soucier, mais parce que je serais bien plus curieuse si les rôles étaient inversés. Mais il m’est alors venu à l’esprit que c’est justement ma curiosité qui m’a conduite à parcourir le monde, et qu’à contrario c’est ce manque de curiosité qui les empêche même de s’interroger sur mon voyage ou de poser des questions à ce sujet.
Certains trouvent étrange et irresponsable d’avoir réalisé un tel périple. D’autres ne savaient même pas que j’étais partie. Cela m’a rappelé le sentiment qu’a Néo lorsqu’il se réveille enfin de la Matrice. Il pouvait y retourner, mais il n’était plus le même. De fait, Il est impossible de revenir à celui ou celle que l’on était avant.
J’ai découvert que je n’avais plus autant d’affinités avec certains de mes amis et proches. Au début, j’ai cru qu’ils avaient changé, puis j’ai réalisé que c’était moi qui n’était plus la même. J’avais changé, donc ma vision de certaines des vieilles parties de ma vie avait changé et mes centres d’intérêts étaient différents. Depuis mon retour, je ne m’intéresse plus trop aux choses matérielles. Je laisse les choses arriver et j’ai surtout besoin de profiter des petites choses de la vie et de mes amis tout simplement. J’apprécie le confort simple de ma maison, et je me concentre sur ce qui m’apporte du bonheur. Cela m’a aidé à canaliser cette énergie qui était en moi et aussi à ne pas sombrer.
J’ai décidé d’essayer de partager ce que j’ai appris et vécu avec d’autres personnes envisageant de partir à leur tour. Je suis également restée en contact avec d’autres voyageurs afin de me sentir quelque part moi-même encore sur la route.
Même si j’appréciais de voir mes amis et ma famille, cela m’a vite donné un sentiment de vertige et j’ai dû faire un effort sur moi-même afin d’arriver à être entourée d’un grand nombre de personnes. J’ai eu besoin d’avoir un peu de temps seule pour équilibrer les choses.
J’ai pris du poids, tout à la fois à cause de mon inactivité relative et de cette « junk food » qui est la nôtre en Amérique.
J’ai beaucoup dormi. Peut-être était-ce une forme de dépression, pourtant je ne me suis jamais vraiment senti déprimée et je ne suis sûre de rien. Mais je sais que je ne suis pas une personne qui déprime. Par contre, j’ai tendance à m’inquiéter facilement et j’ai eu une sérieuse crise d’anxiété au moment de reprendre le travail. Cela s’est traduit par des nuits blanches, des palpitations et des douleurs thoraciques entre aux signes évidents.
J’ai beaucoup pensé au voyage et les écrits et présentations que j’ai dû réaliser n’ont fait qu’amplifier cette tendance que je le veuille ou non.
Le retour au travail n’était pas vraiment excitant et encore moins l’idée de sortir du lit le matin pour entamer une journée qui serait identique à la précédente. Alors, je me suis focalisée sur les choses qui me rendaient heureuse : revoir mes anciens collègues et tous les gens formidables avec lesquels j’avais eu la chance de travailler
Dans l’ensemble, les premiers mois de mon retour ont été difficiles et pénibles mais je me suis efforcée de ne pas m’apitoyer sur mon sort. J’ai été patiente envers moi-même. Un jour à la fois, un pas après l’autre, tout comme sur la route. J’ai fait le choix de rester positive et de commencer à planter les graines de mon bonheur futur parce que regarder vers l’avant a toujours été pour moi une manière de continuer et d’être heureuse.
J’aimerais pouvoir être plus claire dans mes explications. J’aimerais trouver les mots.
Revenir n’est pas forcément une mauvaise chose. C’est juste différent, désorientant, étrange et même parfois surréaliste. L’expérience doit être différente pour chaque personne, et la seule chose que je puisse affirmer c’est que vous vous en sortirez. N’hésitez pas à partager vos sentiments et votre expérience avec d’autres voyageurs. Cela aide sans nul doute. Eux seuls peuvent vous comprendre et la communauté du voyage est une bonne thérapeutique, je pense. Et quoiqu’il arrive, surtout, rappelez-vous : vous n’êtes pas seuls.
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