Philosophie

This article is also available in : English

“Moi qui le plus souvent voyage pour mon plaisir, ne me guide pas si mal. S’il fait laid à droite, je prends à gauche, si je me trouve mal propre à monter à cheval, je m’arrête… Ai-je laissé quelque chose à voir derrière moi? j’y retourne. C’est toujours mon chemin. Je ne trace aucune ligne certaine ni droite, ni courbe.”

Montaigne

Ma philosophie se résume en une idée : redevenir nomade durant un temps et jouer les saltimbanques.

Cela ne sera pas la première fois. En 2003, durant 16 mois, j’ai fait le tour de l’Afrique à moto.

Mais être nomade qu’est-ce que c’est au juste ?

Chacun sa définition, j’imagine. La mienne se résume dans le respect et l’application de ces 10 commandements :

  • Planifier, tu éviteras

« Le plan, c’est pas de plan ». L’expression n’est pas de moi, mais d’un pote Luc dont vous pourrez lire les aventures ici.

Pas de plan, ou un minimum, juste une direction générale, sujette à modifications, selon les envies, les rencontres, les sourires, les saisons, et bien entendu, l’actualité géopolitique du moment, élément incontournable ces derniers temps.

  • Le fatalisme, tu cultiveras

Corolaire du premier point, le second est tout aussi primordial. Inch’Allah, disent les mahométans. C’est exactement cela.

En 2004, alors que je m’apprêtais à quitter Dar-Es-Salam en Tanzanie, un Danois, Henrick, m’arrêta pour me proposer un verre. Nous avons passé une heure à parler moto et Afrique.  Marié à une Tanzanienne, il vivait là depuis plusieurs années. Il insista pour que je reste quelques jours chez lui, proposition que je déclinais poliment.

Quelques heures plus tard, alors que j’étais sur la route, mon amortisseur rendit l’âme. Je fus obligé de faire demi-tour et décidait alors d’aller chez Henrick, le temps de réparer. Je suis resté 3 semaines chez lui et sa charmante épouse Mwajabu. Ce qui n’aurait dû être qu’une rencontre éphémère s’est transformé en une amitié durable. Il aura suffi d’un simple amortisseur … Inch’Allah !

  • Lentement, tu iras

Le voyage, c’est la lenteur. Le voyage EST lenteur. L’avion, même la voiture c’est de la triche, trop facile, trop rapide. Alors oui, un voyage, un vrai, c’est à pied, à vélo ou à cheval que cela se fait. Seule la lenteur permet d’apprécier les distances et la diversité de ce monde, seule la lenteur permet de croiser des regards et des sourires. La lenteur est gage d’intensité et de rencontres.

Dans mon cas, marche et vélo sont exclus, du fait des séquelles d’un accident récent. J’avais envisagé le cheval, accompagné d’une mule de bât et d’un chien, mais certains impératifs m’obligent à faire de courts aller et retour en France de manière périodique. Que faire alors de mes compagnons de route ?

Cela sera donc sur ma fidèle moto, « Utopie » comme je la surnomme, que je pars. Son âge impose la lenteur et il suffit de retirer mon casque pour discuter avec le quidam croisé au détour d’un chemin.

  • Seul, tu chevaucheras

C’est une règle : plus on est seul, plus la rencontre est aisée. La solitude est avec la lenteur, la meilleure garantie d’un voyage riche en moments partagés. Cela peut paraître paradoxal, mais c’est ainsi. A deux, on commence à être un groupe. Et le groupe, bien souvent se suffit à lui-même.

  • Léger, tu voyageras

Avant de partir, à moins de ne l’avoir déjà fait, on ne peut imaginer l’état des « routes » que l’on va devoir affronter. Dans bien des endroits, un vélo passe plus facilement qu’une moto. Dans ces cas-là, le plus grand ennemi, c’est le poids. A ce titre, ma BMW R100 GS est vraiment beaucoup trop lourde. Une 600, voire une 400 serait amplement suffisante. Partir léger permet, en outre, d’économiser en essence et en pneu.

Pour ma part, l’économie de bagage va être ma quadrature de cercle au cours des prochains mois de préparation.

  • Où tu peux, tu dormiras

Dans un fossé, sous un arbre, dans une cabane, dans la chambre miteuse d’un hôtel de passe ou dans un palace qu’importe, l’important c’est d’avoir un bon matelas et d’être à l’abri du froid et de l’humidité.

Il convient également d’avoir une tente légère, solide et … étanche ! On peut en faire l’économie sur un voyage de quelques semaines, mais pas sur un cheminement de plusieurs mois.

Bien souvent, dans les villages, et à fortiori dans les villages des pays de Mahomet où l’hospitalité est sacrée, on vous offrira un repas et un toit pour la nuit.  Le repas, je l’accepte toujours, par contre j’avoue préférer ma tente, et ce pour une raison toute simple : la plupart du temps, c’est leur propre chambre (ou case en Afrique) que vos hôtes vous laissent.

A ce sujet, j’ai le souvenir d’une anecdote amusante survenue au Cameroun, alors que je cheminais avec 3 amis.

C’était la saison des pluies, et la piste de latérite était impraticable ou presque. La journée avait été épuisante et l’idée de dormir sous une tente ne nous séduisait guère. Un peu avant la tombée de la nuit, nous avons donc demandé l’hospitalité à un villageois. Il nous offrit sa case ce que nous avons refusé. Hors de question pour nous de le déloger de chez lui. Il nous proposa alors sa future maison en construction, faite de solides murs de briques. Elle était presque terminée et elle nous apparue idéale : nous avions un toit qui nous mettait à l’abri des pluies torrentielles et nous ne dérangions personne. Nous nous y installâmes donc. Quelques minutes après notre arrivée, quelqu’un frappa à la porte. Nous ouvrîmes et stupéfait nous vîmes notre hôte et toute sa famille transportant fauteuils, tables, chaises et lits afin de nous loger plus confortablement. Ce n’est pas nouveau, ce sont bien souvent les plus démunis qui sont les plus généreux.

  • Juger, tu t’abstiendras

Montaigne qui adorait parcourir la France à cheval a dit qu’en voyage, il ne fallait pas « s’emporter avec soi ».

De fait, en partant, il ne suffit pas simplement de dire adieu à sa famille et à ses amis, il faut également et surtout se laisser soi-même, se dévêtir de ce que l’on croit être bien ou mal, juste ou injuste, correct ou incorrecte afin de retrouver la naïveté et la perméabilité de l’enfance.

L’autre, celui que vous ne connaissez pas encore, celui que vous allez rencontrer en chemin, celui au-devant duquel vous partez en fermant la porte de chez vous, qu’il soit prince ou mendiant, celui-là va vous ouvrir les portes d’un autre monde, d’une autre forme de pensées et de valeurs. Et l’étranger qu’il est aujourd’hui va devenir votre frère, votre compagnon parfois, avec lequel vous allez partager le pain et le rire.

Parce que c’est cela avant tout le voyage. Le voyage est naissance, il est accouchement, il est chrysalide. Il sera intense, long, sensuel, douloureux parfois. Mais en partant, n’oubliez pas de dire adieu à celui que vous êtes. Il n’existe déjà plus même si vous ne le savez pas encore.

  • Respectueux et modeste, tu seras

Le respect, c’est une notion à la fois de plus en plus oubliée et complexe. Parce que le respect n’est pas universel. Cela serait trop simple.

« Pour un africain regarder droit quelqu’un dans les yeux est un signe d’impolitesse et de non-respect tandis que c’est un signe de respect et de confiance pour un européen. » faisait justement remarquer Amadou Hampaté Bà.

Ce qui est respectueux ici, peut-être impoli ailleurs.

Alors comment faire ?

Cela commence par l’écoute et l’observation. Parler peu et écouter beaucoup. Et lorsque l’on parle, éviter de se poser en donneur de leçon. Cela est, ici comme ailleurs, toujours désagréable.

Accepter de partager le pain, entendez la nourriture, c’est une valeur quasi-universelle.

Eviter les comportements et les tenues trop ostentatoire.

Eviter également de « singer » vos hôtes en portant, par exemple, une tenue locale flambante neuve, sauf si on vous l’a offerte bien entendu. Dans ce cas, vous vous devez de la porter fusse-t-elle rose-fuchsia…n’est-ce pas Eli ?

Et faire confiance à vos meilleurs alliés, je veux dire les enfants. Eux seuls auront la fraicheur et la spontanéité nécessaires pour vous faire remarquer gentiment vos impairs et erreurs.

  • Le sourire, tu garderas

Le sourire est le sésame du voyageur. Il lui permettra de se faire inviter à manger, lui offrira un toit pour la nuit, ou lui obtiendra ce visa tant désiré. Il désarmera la colère de ce policier irrité et adoucira l’humeur de ce fonctionnaire trop zélé. Mais surtout, et c’est le plus important, il ouvrira les portes de l’amitié et du partage. Son langage est universel, et n’a nul besoin d’être traduit.

Le sourire est notre arme, notre viatique et notre meilleur allié.

  • La curiosité, tu entretiendras

Mais sans curiosité… partirait-on ?