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Au Pakistan, quand tu veux acheter une moto, tu as le choix de la couleur. Tu peux choisir entre rouge, rouge et rouge. Toutes de la même marque, cela va sans dire. Cela limite les questions existentielles. Quant aux modèles de pneus disponibles, je n’ai pas osé le demander. Le premier constat en passant en Inde, c’est la diversité des marques et modèles de moto. La reine est bien sûr le Royal Enfield, au teuf-teuf si caractéristique. La seconde chose que je note est le retour des femmes dans le domaine public. Le Pakistan est un pays étonnant. Les Pakistanais adorables, mais les femmes y sont quasiment absentes, hormis dans certains endroits dans de grandes villes comme Islamabad. Et encore, elles y sont peu nombreuses. La seule Pakistanaise avec laquelle j’ai pu discuter était chrétienne. Nul jugement. Simple constat. Je me permets néanmoins de faire un petit aparté. Je suis français mais j’ai passé une bonne partie de mon enfance et adolescence dans un pays musulman. Les circonstances ont fait qu’il n’y avait pas de jeune fille de mon âge dans les communautés de français. Et à l’adolescence garçons et filles ne se fréquentaient pas chez les jeunes Turcs. Tous mes copains étaient donc des garçons. Je suis rentré en France à 16 ans… et j’ai mis des années à apprendre comment me comporter avec les filles. Je ne savais tous simplement pas comment faire. J’adore les pays de culture musulmane. Sur beaucoup de points, je pense que nous occidentaux, nous gagnerions à nous inspirer d’eux. Cependant, et je le pense depuis l’enfance, ils doivent vraiment faire leur révolution pour ce qui concerne les rapports hommes/femmes. En l’état, c’est sclérosant pour tous : femmes ET hommes.
Je m’installe dans une guest-house à la frontière : Bhandari’s Guest-house. L’endroit est agréable sans être luxueux : piscine, parc arboré. Les chambres sont un peu chères, 30 euros, mais il est possible d’y camper pour une somme assez modique. L’histoire de cette guest-house est assez amusante. Elle a été ouverte en 1955 par une femme parsie originaire de Lahore. Elle avait dû s’installer à Amritsar en 1947 lors de la partition Inde/Pakistan. Elle est décédée en 2007 à l’âge de 101 ans et fut la première femme à conduire une voiture en Inde. Au départ, la clientèle de sa demeure était constituée de diplomates qui y venaient afin de trouver un peu de calme durant les week-ends.
Je décide de laisser la chaleur de la journée passer et de ne me rendre au temple d’or que le soir. Le Temple d’Or. C’est le nom informel du Harmandir Sahib, littéralement, « L’illustre temple de Dieu ». Il doit son surnom et sa couleur aux feuilles d’or véritable qui recouvre ses murs. Il a été construit en 1601 et se situe au milieu d’un bassin d’eau carré et considéré comme sacré. On accède au bassin par 4 entrées, une de chaque côté, qui symbolisent l’ouverture à toutes les cultures et croyances. En 1984, il fut le théâtre d’une opération militaire sanglante ordonnée par Indira Gandhi afin de déloger des séparatistes sikhs. Dans l’opération 84 soldats furent tués et 248 blessé. Du côté des pèlerins, il y eut 493 tués (dont 100 femmes et 75 enfants). Quatre mois plus tard, Indira Gandhi fut assassinée par ses gardes du corps sikhs afin de venger la profanation de ce lieu saint.
Je m’y rends à moto. Pour cela, il me faut passer sur un pont dans le nom m’interpelle : le pont Bhandari, le même nom que celui de la guest-house où je suis. Et pour cause : j’apprendrai par la suite qu’il a été construit par le propre mari de la fondatrice.
Arrivé sur place, il me faut aller me garer dans un parking moto tout proche… et ce n’est pas une mince affaire. Au milieu de ces centaines de motos garées en rangs serrés, Utopia fait figure de mammouth. Le simple fait de circuler dans les allées est une gageure. Mes grosses caisses alu ne cessent de toucher les motos garées d’un côté comme de l’autre. Et pour la garer, il nous faut déplacer pas moins de 4 motos. La prochaine fois, c’est certain, je ne partirai pas avec une moto de plus de 600 cc. Je laisse le casque attaché sur la moto. Un peu plus loin, je m’arrête chez un commerçant afin de lui confier mon blouson : j’aime me promener léger. Le temple est pourvu de vestiaire à chaussures : il est interdit d’entrer dans l’enceinte chaussée à l’instar des mosquées. Je tends mes bottes au préposé. Il me désigne mes pieds :
- « socks ! »
Ah ? Les chaussettes également. Discipliné, je les retire puis je me dirige vers l’entrée la plus proche. Il faut passer dans un pédiluve. Je retrousse mon pantalon, qui malgré la ceinture a tendance à tomber. Un garde sikh, tout vêtu de bleu et fièrement campé sur sa lance m’arrête. Il me faut comprendre qu’il faut que je me couvre la tête et me désigne une poubelle remplie de foulard. J’en mets un et pénètre dans l’enceinte. Le temple d’or brille au milieu du bassin, des milliers de pèlerins déambulent autour. Je ne vois aucun autre touriste. D’ailleurs, un petit groupe de curieux m’interpelle assez vite. Autant en Iran ou au Pakistan je passais quasi-inaperçu une fois ma tenue de motard enlevée, autant ici, mon statut d’étranger ne laisse aucun doute. Aux quatre coins de l’enceinte, il est possible de demander de la nourriture : ici tout le monde peut rester dormir et manger, et ce gratuitement.
Un peu plus loin, un autre garde sikh m’apostrophe : il est interdit de prendre des photos. En rigolant, je lui désigne les dizaines de personnes autour de moi qui se prennent en selfie à l’aide de leur téléphone. Un peu confus, il me dit qu’effectivement il a du mal à faire respecter le règlement. On se tape dans la main et on se quitte en riant. Je continue un peu, puis décide de m’asseoir sur le bord du bassin. Immédiatement, une jeune femme me fait remarquer que je ne suis pas assis comme il convient : je ne dois pas être jambes ballantes dans le bassin. Il me faut m’asseoir en tailleur. Décidément, je ne cesse de commettre des impairs. Mais personne ne m’en tient rigueur. On m’indique juste la « bonne » manière de faire. Je reste ainsi une bonne heure à observer les lieux et les gens. Beaucoup discutent assis en tailleurs comme je le suis. D’autres sont allongés et dorment. Certains, et ce ne sont pas les moins nombreux, prient. Quelques-uns se baignent dans l’eau sacrée. Sur l’un des côtés du bassin, un arbre multicentenaire fait l’objet d’une intense dévotion. Le lieu, malgré la foule immense, est propice à la méditation. Je finis par ressortir et après avoir récupéré chaussettes et bottes, je me dirige vers la rue piétonne toute proche. Elle est semblable à celles que l’on pourrait trouver dans des villes européennes, à quelques détails près. Je tombe en arrêt devant une voiture de police dont le toit est orné d’un fusil mitrailleur des plus impressionnant. En me retournant, je tombe nez à nez, nez à mufle plutôt, avec une vache qui m’observe placidement, sans doute intriguée par le touriste que je suis. Un peu plus loin des mendiants font la manche. Ils sont tous handicapés : bras ou jambes sectionnés ou désarticulés. Celui qui m’impressionne le plus est un homme dont la mâchoire disloquée a été figée dans la position du masque « Scream ». Amputation volontaire durant l’enfance afin d’apitoyer le badaud, j’en ai peur. L’Inde … bizarrement, c’est un pays qui ne m’a jamais attiré. Je vais avoir quelques semaines pour confirmer ou infirmer cet a priori.
“Nous devons nous y habituer : aux plus importantes croisées des chemins de notre vie, il n’y a pas de signalisation.”
Hemingway
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