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L’homme à la R1 – rencontre avec une légende

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Salut. Voici un article paru dans le ROAD TRIP MAGAZINE n°49, il y a un peu plus de 1 an maintenant. Pour ceux qui ne l’achètent pas (mais qui devraient 😉 )

La première fois que j’ai entendu parlé de Sjaak, c’était en 2003, au Mali. Un Français croisé sur la piste m’avait alors raconté qu’un mec avait traversé l’Afrique quelques mois auparavant sur une Yamaha R1. Je venais moi-même d’entreprendre un tour de l’Afrique et les premières semaines avaient été extrêmement difficiles. J’avoues ne l’avoir tout simplement pas cru. Traverser l’Afrique sur une R1 ? Quelle blague ! C’est juste impossible ! 

Puis, la même histoire m’a de nouveau été rapportée au Cameroun, au Gabon et au Congo. Au fil des kilomètres parcourus au sein de ce fantastique continent, l’homme à la R1 devenait petit à petit un véritable mythe. Un peu comme le monstre du Loch Ness ou l’abominable homme des neiges. Tout le monde semblait en avoir entendu parlé sans jamais ne l’avoir vu de ses propres yeux. Lorsqu’enfin en Afrique du Sud, je croisais la route d’un garagiste qui me certifia avoir dépanné la fameuse moto, je finis par croire à l’incroyable. Il existait !

A mon retour en 2004, j’entrepris quelques recherches sur le net. A l’époque les réseaux sociaux n’en étaient qu’à leurs balbutiements mais je réussi néanmoins à retrouver sa trace. Oui, cette fois plus de doute : il existait vraiment ! L’homme à la R1, était Hollandais et s’appelait Sjaak Lucassen.  Et non seulement il avait effectivement traversé l’Afrique par la côte ouest, la plus difficile, mais avait entrepris un tour du monde qui durait depuis mars 2001. Je suivis alors la suite de son périple, lequel se termina en 2006, après 5 ans de voyage. Par la suite, nous devînmes « amis » sur facebook mais sans nous connaître réellement.

Mais seules les montagnes ne se rencontrent jamais et lorsqu’il y a quelques jours j’apprends qu’il va passer par la Cappadoce[1] où je me trouve, je décide de l’attendre. Je vais enfin voir l’homme à la R1 et sa moto de mes propres yeux !

Nous passons notre première soirée dans un bar à Göreme. Il est accompagné de Nathalie, également en R1. Après quelques bières, je leur demande : pourquoi voyager en R1 ? Pourquoi braver les pistes de sables et de boues sur cette moto faite pour le circuit et la vitesse ? La réponse vient dans un énorme éclat de rire : « pour garder la forme », et pour preuve les deux passent leur jambe par-dessus la tête. Pas de doute, ils sont souples. Je passe les deux jours suivant à l’écouter me parler de ses aventures.

Adolescent, Sjaak passe son temps à faire de la moto-cross sur la propriété de ses parents, agriculteurs. Mais déjà, il rêve des grands espaces espaces Australiens. Il passe son permis vers l’âge de 25 ans et se découvre une passion pour les motos de circuit. Sa première moto est donc une Honda Fireblade flambante neuve et c’est tout naturellement avec celle-ci qu’il entreprend son premier voyage en Australie en novembre 1993. Pourquoi la Fireblade ? Parce qu’il faut partir avec la moto que l’on aime, répond-il. C’est lors de ce voyage qu’il teste pour la première fois les capacités d’une moto de course en hors-piste. L’expérience n’est pas aussi difficile qu’il ne l’imaginait. Pourtant à cette époque, il ignore tout des subtilités de la conduite sur sable et ne sait même pas qu’il convient de dégonfler les pneus. De fait, ce qui l’a le plus marqué dans cette première tentative, c’est le goût du sirop concentré qu’il a dû boire en lieu et place de la bouteille de jus de fruit qu’il pensait avoir acheté. Il revient en Europe en mars 1993 après avoir parcouru 38 000 km sur le continent Australien. Cette première aventure lui fait découvrir sa troisième passion : le voyage. La route est une addiction et après avoir vendu tous ses biens, il repart pour un second périple en mai 1995 avec une liste de pays à découvrir bien définie et choisis à chaque fois pour un motif bien précis : la Russie, parce que c’est l’ennemi héréditaire, l’Australie de nouveau afin de revoir des amis, la Nouvelle Zélande pour sa nature sauvage et parce que c’est à l’autre bout de la Terre, le Japon pour sa culture, l’Israël afin de voir la réalité du quotidien dans ce pays, Le Bangladesh et l’Indonésie qu’il avait déjà visité mais en sac à dos et enfin l’Egypte pour ses sites archéologiques. Au bout de 2 ans et demi, il rencontre un compatriote qui descend la côte Est de l’Afrique. Il décide de se joindre à lui et poursuit le voyage jusqu’en Afrique du Sud. 

A court d’argent, il revient en 1998 après avoir parcouru 150 000 km. Il n’a qu’une envie : repartir. Mais pour cela, il lui faut se professionnaliser afin de trouver le moyen de vivre de ses voyages. Il commence à écrire des articles dans des magazines et se met à chercher des sponsors. Il frappe à la porte de Honda, mais la marque lui impose tellement de contraintes qu’il renonce. Sjaak est avant tout un homme libre qui refuse la compromission. Qu’à cela ne tienne, il essaye la R1 qui vient de sortir et tombe immédiatement amoureux de cette moto. Sa prochaine moto sera une R1, c’est décidé. Il prend rendez-vous avec les représentants de la marque et en moins d’une heure de discussion, il arrive à les convaincre de lui en donner une. Il la baptise Florentina, parce qu’il aime les fleurs. D’ailleurs, sur la route il se présente lui-même sous le surnom de « Flores ». Il y adapte des coffres en aluminium de sa conception semblables à ceux qu’il avait déjà réalisé sur la Fireblade, mais fort de sa première expérience, leur donne une légère inclinaison vers l’avant afin de ramener le centre de gravité vers le milieu de la moto. Flores et Florentina quittent la Hollande en Mars 2001, mais c’est en France à Paris qu’il marque symboliquement le départ de cette nouvelle aventure en se prenant en photo devant l’Arc de Triomphe. Cinq ans plus tard, il prendra une seconde photo au même endroit pour acter son retour.

Le début de son périple l’amène vers l’Afrique. A Dakhla, alors qu’il attend un convoi[2] afin de gagner la Mauritanie, un Français lui conseille fortement de faire demi-tour : traverser le Sahara avec une telle moto, c’est juste impossible. Pour Sjaak, cette avertissement sonne un peu comme un défi : sa R1 traversera le Sahara, dusse-t-il la faire remorquer par un chameau ! Et de fait, il réussit cette traversée sans trop de problèmes. Une fois ses pneus dégonflés à 0,6 bars, Florentina se révèle même étonnamment maniable, y compris au milieu des dunes. La vraie difficulté vient quelques mois après au Congo. Il lui faut près de 3 mois pour arriver à traverser ce qu’il appelle un « paradis en enfer ». Au total, la traversée de l’Afrique lui prend 16 mois. 

Puis, c’est l’Amérique du Sud, son continent préféré, du fait des grands espaces sauvages qui ne le laissent pas insensible lui qui aime la nature avant tout. Peut-être également parce qu’il y rencontre l’amour sous la forme d’une jolie Vénézuélienne, Sonia, une jolie latino au sourire ravageur. Il reste 3 mois auprès d’elle et la sauve in extremis d’une tentative de viol lors d’une attaque à main armée. Cela reste d’ailleurs l’expérience la plus traumatisante de ses voyages. 

De là, il gagne l’Amérique du Nord puis l’Asie. Sonia le rejoint en Chine et voyage quelques temps avec lui, perchée sur le haut de son coffre en aluminium.

Le voyage se termine en aout 2006, Florentina affiche alors 250 000 km au compteur. 

Depuis son retour en 2006, Sjaak caresse un nouveau rêve : être le premier homme à aller jusqu’au Pôle Nord à moto. Pour cela, il a déjà effectué trois périples, toujours en Yamaha R1, qui lui ont permis de tester le matériel et de mieux cerner les difficultés d’un tel exploit : le premier au Cap Nord en Février 2008, le deuxième en Alaska de janvier à mars 2009 et le troisième, au-dessus du cercle polaire[3], de février à avril 2013, expédition pour laquelle il a conçu une capsule de survie qu’il traine avec la moto et dans laquelle il peut dormir et manger. Depuis, il travaille à la conception d’une moto spécifiquement pour cette expédition polaire : la aRtic1, réalisée à partir d’une base de Yamaha R1 encore. Parce que c’est cette moto qu’il aime et pas une autre. 

Au final qui est Sjaak ? Est-il un homme à la recherche d’exploits et de records ? Un homme à la recherche de l’extrême comme pourrait le faire penser le titre de son site internet[4] ?  Je ne le pense pas. Plutôt un passionné poussé par une curiosité insatiable. Un optimiste qui pense que du pire peut naitre le meilleur. Un homme qui aime à relever ses propres défis, non pas pour les autres mais pour lui-même. Un homme au grand cœur aussi, capable de faire demi-tour pour sauver une tortue en train de traverser une route comme je l’ai vu faire quelques heures avant que nos routes ne se séparent. Un homme qui a décidé de vivre sa vie sur deux roues, sans compromis ni compromission. A ce jour, Florentina affiche 345 000 km et il voyage toujours avec. Yamaha lui a proposé de la lui racheter. Il a refusé.

Avant que nous ne nous quittions, il m’a dédicacé son livre. « Cela peut prendre du temps, mais si tu restes assez longtemps sur la route, tu finiras par trouver ce que tu cherches ». Il a raison, le mythe est devenu réalité. J’ai enfin rencontré l’homme à la R1.

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Les 5 situations les plus dangereuses rencontrées durant ses voyages :

  1. Une attaque à main armée au Vénézuela avec tentative de viol sur Sonia.
  2. Un « presque » accident de la route en Chine avec un bus qui a foncé délibérément sur lui. Pour le chauffeur, il revenait à Sjaak l’entière responsabilité de sortir de sa trajectoire pour l’éviter[5].
  3. La foudre, tombée à moins de 20 mètres de lui
  4. Etre mis en joue par un militaire en RDC pour avoir pris une photo dans un endroit interdit.
  5. Un nez à nez avec 3 éléphants en Zambie

Son continent préféré : L’Amérique du Sud pour la nature sauvage.

Son pays préféré : la Russie, le pays ou l’improbable et l’impossible arrivent et dans lequel les pays sont les plus hospitaliers du monde.

La route la plus dure : la Nationale 1 au Congo, un paradis en enfer.


[1] Anatolie centrale en Turquie

[2] A l’époque, il était impossible de traverser seul cette zone. Il fallait obligatoirement se joindre à un convoi protégé par l’armée marocaine.

[3] Polar Ice Ride

[4] R1goesExtreme.com

[5] Note de l’auteur : chose assez commune dans certains pays : priorité au plus gros.


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