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Voici un article paru dans le ROAD TRIP MAGAZINE n°55. Encore une fois… achetez-le. 🙂 Des images rares d’un Pakistan inconnu.
Assis près de moi, le Prince ouvre son parapluie. Non pas qu’il pleuve, bien au contraire. On a beau n’être que début mars, Hélios, le dieu soleil nous honore de sa présence de manière quelque peu trop ardente. Le parapluie sert donc de parasol. Le Prince le tient à la manière anglaise : dans la main droite posée sur le genou. L’ombre se déploie sur lui et moi. Je souris intérieurement en me faisant la réflexion que je suis, au sens propre comme au figuré, à l’ombre du Prince. Devant nous des cavaliers s’élancent dans une épreuve acharnée de « tent-pegging » ou « Nezza bazzi » cette discipline, totalement inconnue en Europe, mais pourtant millénaire. Comme souvent, ses origines sont guerrières : il s’agissait pour les cavaliers, lancés en plein galop, de planter une lance dans les pieds des éléphants de l’armée ennemie. Plus d’éléphants désormais, mais des planchettes de bois fichées dans le sol. Ce jour-là, plus de 800 cavaliers s’affrontent par équipe de 4.
J’avise un enfant qui vend ce qui me semble être des cacahouètes et je l’appelle. L’intendant me devance et commande : Je suis l’invité du prince, hors de question que je paye quoique ce soit.
Tout a commencé par une banale discussion quelques jours auparavant avec un jeune Pakistanais, Hasir. Il travaille à l’ONU. Il est intelligent, sympathique et sa conversation est instructive, mais je suis loin d’imaginer que deux jours après, grâce à lui, je serai embarqué dans l’une des aventures les plus rocambolesques de ce voyage.
Hasir, me parle de Orrick, une Canadienne installée depuis 10 ans à Islamabad. Elle y possède une écurie. Je prends rendez-vous pour une balade à cheval. Cheveux noirs, grand sourire, la dame est chaleureuse. Nous sympathisons immédiatement. Le lendemain, elle m’envoie un texto :
- « Do you have any plan for tomorrow ? »
Ma foi, non et puis même si j’en avais, ils sont toujours susceptibles de variations.
- « No »
- « Ok, come tomorrow at 10 AM to the stable, I will introduce you to Prince Malik ! »
Je n’ai strictement aucune idée de qui il peut bien s’agir, mais pourquoi pas ? Le lendemain, je suis à l’écurie à l’heure dite. Je n’ai pris que mon appareil photo, une gopro et deux batteries de rechange. Je n’ai même plus de téléphone, ce dernier ayant mal supporté de prendre la douche à mes côtés.
Nous partons dans la voiture d’Orrick. Son chauffeur, un Pakistanais parle un anglais parfait. Quant à Utopia, elle reste à l’écurie jusqu’au soir. Enfin, ça, c’est le plan. Mais je suis au Pakistan et ici, il n’y a aucun plan qui tienne.
L’arrivée donne le ton. Des laquais, impeccables dans leurs tenues traditionnelles nous ouvrent les énormes portes en fer forgé de la propriété. Je note qu’ici comme ailleurs, ils sont armés. C’est général au Pakistan. Une fois à l’intérieur du domaine, d’autres valets, judicieusement placés aux divers embranchements, nous indiquent d’un geste lent et majestueux la direction à prendre. Nous longeons une première maison, un palace devrais-je dire, abandonnée. J’apprendrai par la suite qu’il s’agit d’une des résidences réservées aux invités dans les temps anciens. Nous arrivons enfin devant la demeure du Prince. Elle est immense. Non, immense n’est pas le mot. Monumentale plutôt. La façade principale comporte un portique d’entrée dont les colonnes doivent faire entre 20 et 25 mètres de haut. L’ensemble du bâtiment est entièrement blanc. In petto, je me fais la réflexion que je n’aimerai pas à avoir à le repeindre. Un laquais nous apporte des verres de jus d’orange pressé afin de patienter le temps que le Prince arrive. Il ne tarde pas. J’observe qu’il ne marche qu’avec difficulté, séquelles, je l’apprendrai par la suite, d’une chute de cheval. Les chevaux sont en effet sa passion et il est le président de la fédération équestre pakistanaise. Nous partons derechef pour une visite des écuries. Les chevaux sont de taille moyenne, sec et harmonieux. J’admire plus particulièrement le dessin caractéristique de leurs oreilles.
D’un coup, le Prince me lance : veux-tu monter ? Je décline poliment, mais on ne refuse rien au Prince. Ses questions ne sont qu’affirmations. Une manière toute princière de dire : « monte ! »
Déjà mon cheval est harnaché. Orrick n’a guère plus le choix que moi et se retrouve également sur un cheval. Un laquais nous guide et nous partons dans la campagne environnante durant deux bonnes heures.
Au retour, une calèche nous attend afin de nous ramener au château. A peine revenu, et déjà nous passons à table. Orrick s’assied à la droite du prince. Mon assiette, dans le sens ancien du terme, est à sa gauche. Deux autres invités se joignent à nous. Les serveurs se succèdent dans un étrange ballet silencieux. Très vite, je comprends que si je veux aller au bout de ce repas, il ne me faut prendre que de très petites quantités de chaque plat.
Sur les murs, moult photos du Prince dans sa jeunesse. Le Prince Malik Ata Muhammad Khan, tel est son nom. Il est, ce qu’on appelle ici un « Nawab ». Un Nabab en français, véritable lord féodal possédant pas moins de 86 villages.
Au cours du repas, le Prince me propose de rester le soir afin de l’accompagner le lendemain à une épreuve de « Tent pegging ».
J’accepte l’invitation avec enthousiasme. Après tout ce n’est qu’une seule journée de plus et je peux bien rester deux jours avec les mêmes vêtements. Ce ne sera pas, du reste, la première fois.
C’est ainsi que je me retrouve assis à côté du Prince à regarder cette épreuve de Tent pegging. D’un coup, il se tourne vers moi, et me pose la question fatidique : « tu veux monter ? ». Une fois encore la question n’était que de pure forme, car déjà un jeune garçon amène un magnifique bai-brun devant la tribune d’honneur. Difficile de refuser et je me retrouve à caracoler au milieu de ces 800 chevaux. On me tend une lance : est-ce que je veux essayer ? Cette fois, je me défile, non sans une hésitation. Galoper à fond devant cette foule, lance à la main, cela doit valoir son shoot d’adrénaline. L’épreuve se termine tard dans la nuit et nous restons dormir chez un ami du Prince. Là encore, la taille de la propriété ne laisse guère de doute quant à la fortune de notre hôte.
Le surlendemain matin, l’intendant m’amène une tenue traditionnelle que j’enfile avec amusement. Ma foi, c’est plutôt agréable. La difficulté est de nouer le turban. De fait, même pour ceux qui en connaissent les subtilités, cela est impossible à faire seul. Il faut être deux : celui qui porte le turban et celui qui tient l’autre bout permettant au premier d’enrouler savamment la longue bande de coton autour de sa tête. Dans mon cas, c’est le prince qui se charge de cette délicate opération. Je me contente de rester immobile. Une fois terminé, je me regarde dans un miroir. Je me sens un peu l’âme d’un Laurence d’Arabie. Mais mon prénom n’est pas Laurence.
Mais déjà il est l’heure de repartir. Je m’engouffre dans le mini-van qui déjà se présente devant nous. Il n’est plus question pour moi de revenir à Islamabad. Le Prince a, semble-t-il, décidé de me faire l’honneur de me faire visiter l’ensemble du Punjab. Je suis littéralement kidnappé.
La suite du prince se compose de :
- Jaffar, son chauffeur et secrétaire privé. Un ancien ingénieur.
- Dr. Qadeer, l’écuyer en charge de ses chevaux.
- Mr. Ramzan, responsable de la laiterie du Prince.
- Mr. Khan, responsable du domaine agricole.
- Et enfin, ses deux gardes du corps : Haji M. Ashraf et Saheen. Ce dernier est bien peu effrayant je dois dire avec ses immenses bacchantes blanches malgré le fusil-mitrailleur qu’il porte en permanence.
Notre destination est une ville située au sud du Punjab, Jhang Sadar où se tient un festival. Nous passons d’innombrables contrôles. Normalement, un étranger qui veut circuler dans ces régions doit demander des autorisations spécifiques : les NOC. Pour ma part, habillé en Nawab et assis au milieu de la suite du prince, je passe sans problèmes. Nous passons une bonne partie de la journée à rouler et le lendemain, nous sommes à pied d’œuvre pour assister à la première journée du festival. Au programme : Tent pegging à nouveau, mais aussi course de lévriers, lutte traditionnelle, musique et danse. Je suis interviewé à deux reprises. Je commence à en avoir l’habitude : cela doit faire la 5 ou 6ème fois depuis que je suis au Pakistan. Mais c’est la première fois que je le fais en tant que « Nawab », même provisoire.
A la nuit tombée, un attroupement compact se forme. Le Prince et sa suite prennent place à l’arrière d’un camion bâché qui fait office de tribune. Il m’invite à m’asseoir à ses côtés. Devant nous au milieu de la foule en délire, commence un spectacle de « horse dancing », chevaux dansants, au son des tams-tams. D’un coup, je change littéralement de siècle. Le rythme a quelque chose de tribal, le fouet claque, la foule est en transe. C’est tout à la fois brutal et magnifique. Je ne tiens plus et d’un coup, je saute en bas du camion. Résolument je me dirige vers la foule afin de gagner le centre du cercle, tout près des musiciens et des chevaux. Cela risque de ne pas être une mince affaire : la foule est compacte et je ne suis pas certain de réussir à passer. Je pose ma main sur l’épaule d’un premier homme, lequel se retourne. Surpris, il me regarde : un Nawab ! Immédiatement, il entreprend de me frayer un chemin. Les hommes se retournent les uns après les autres et s’écartent respectueusement devant moi. Un policier, positionné à l’intérieur du cercle, se charge de faire reculer les plus lents afin de me faciliter encore plus le passage. C’est ainsi que je me retrouve, gopro au poing, juste à côté des chevaux, au milieu des musiciens. En dehors de moi, seul le caméraman de la TV pakistanaise a accès à l’intérieur du cercle. Le soir, à l’hôtel, je vibre longtemps au rythme des tams-tams avant d’arriver à trouver le sommeil.
Du reste, la nuit est courte. A 6 heures, le Prince sonne le branle-bas de combat. A peine ai-je le temps de prendre un café, que déjà nous repartons vers le Domaine. Nous arrivons en fin d’après-midi. Le Prince part se reposer. Un laquais m’apporte une collation. Puis l’intendant vient, accompagné d’un tailleur. L’homme prend mes mesures. Mon nouveau costume sera prêt pour le lendemain matin. J’ai une pensée pour Utopia restée à Islamabad. Elle doit se demander ce que je fabrique… Je ne suis pas Laurence d’Arabie. Mais je deviens Jean-Jacques du Pakistan.
Remerciements : Merci au Prince Malik ATTA pour son hospitalité durant ces quelques jours passés auprès de lui. Merci aussi à son équipe pour ces jours de camaraderies. Merci enfin à Orrick de m’avoir présenté le prince ( et à Yasir de m’avoir fait connaitre Orrick ..)
Mise à jour Mars 2020 : Le prince Malik est hélas décédé début février. Qu’il repose en paix.
Voici une vidéo de son enterrement :
نواب ملک عطا محمد خان کے نمازِ جنازہ میں شریک تمام احباب کے تہہ دل سے مشکور ہیں
Publiée par Nawabzada Ch Sher Ali Khan sur Vendredi 7 février 2020
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