Pakistan, Presse, Voyage 2018/2019

A l’ombre du Prince

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Voici un article paru dans le ROAD TRIP MAGAZINE n°55. Encore une fois… achetez-le. 🙂 Des images rares d’un Pakistan inconnu.

Assis prĂšs de moi, le Prince ouvre son parapluie. Non pas qu’il pleuve, bien au contraire. On a beau n’ĂȘtre que dĂ©but mars, HĂ©lios, le dieu soleil nous honore de sa prĂ©sence de maniĂšre quelque peu trop ardente. Le parapluie sert donc de parasol. Le Prince le tient Ă  la maniĂšre anglaise : dans la main droite posĂ©e sur le genou. L’ombre se dĂ©ploie sur lui et moi. Je souris intĂ©rieurement en me faisant la rĂ©flexion que je suis, au sens propre comme au figurĂ©, Ă  l’ombre du Prince. Devant nous des cavaliers s’élancent dans une Ă©preuve acharnĂ©e de « tent-pegging Â» ou « Nezza bazzi Â» cette discipline, totalement inconnue en Europe, mais pourtant millĂ©naire. Comme souvent, ses origines sont guerriĂšres : il s’agissait pour les cavaliers, lancĂ©s en plein galop, de planter une lance dans les pieds des Ă©lĂ©phants de l’armĂ©e ennemie. Plus d’élĂ©phants dĂ©sormais, mais des planchettes de bois fichĂ©es dans le sol.  Ce jour-lĂ , plus de 800 cavaliers s’affrontent par Ă©quipe de 4. 

J’avise un enfant qui vend ce qui me semble ĂȘtre des cacahouĂštes et je l’appelle. L’intendant me devance et commande : Je suis l’invitĂ© du prince, hors de question que je paye quoique ce soit. 

Tout a commencĂ© par une banale discussion quelques jours auparavant avec un jeune Pakistanais, Hasir. Il travaille Ă  l’ONU. Il est intelligent, sympathique et sa conversation est instructive, mais je suis loin d’imaginer que deux jours aprĂšs, grĂące Ă  lui, je serai embarquĂ© dans l’une des aventures les plus rocambolesques de ce voyage. 

Hasir, me parle de Orrick, une Canadienne installĂ©e depuis 10 ans Ă  Islamabad. Elle y possĂšde une Ă©curie. Je prends rendez-vous pour une balade Ă  cheval.  Cheveux noirs, grand sourire, la dame est chaleureuse. Nous sympathisons immĂ©diatement. Le lendemain, elle m’envoie un texto : 

  • « Do you have any plan for tomorrow ? »

 Ma foi, non et puis mĂȘme si j’en avais, ils sont toujours susceptibles de variations. 

  • « No Â»
  • « Ok, come tomorrow at 10 AM to the stable, I will introduce you to Prince Malik ! Â»

Je n’ai strictement aucune idĂ©e de qui il peut bien s’agir, mais pourquoi pas ? Le lendemain, je suis Ă  l’écurie Ă  l’heure dite. Je n’ai pris que mon appareil photo, une gopro et deux batteries de rechange. Je n’ai mĂȘme plus de tĂ©lĂ©phone, ce dernier ayant mal supportĂ© de prendre la douche Ă  mes cĂŽtĂ©s. 

Nous partons dans la voiture d’Orrick. Son chauffeur, un Pakistanais parle un anglais parfait. Quant Ă  Utopia, elle reste Ă  l’écurie jusqu’au soir. Enfin, ça, c’est le plan. Mais je suis au Pakistan et ici, il n’y a aucun plan qui tienne.


L’arrivĂ©e donne le ton. Des laquais, impeccables dans leurs tenues traditionnelles nous ouvrent les Ă©normes portes en fer forgĂ© de la propriĂ©tĂ©. Je note qu’ici comme ailleurs, ils sont armĂ©s. C’est gĂ©nĂ©ral au Pakistan. Une fois Ă  l’intĂ©rieur du domaine, d’autres valets, judicieusement placĂ©s aux divers embranchements, nous indiquent d’un geste lent et majestueux la direction Ă  prendre. Nous longeons une premiĂšre maison, un palace devrais-je dire, abandonnĂ©e. J’apprendrai par la suite qu’il s’agit d’une des rĂ©sidences rĂ©servĂ©es aux invitĂ©s dans les temps anciens. Nous arrivons enfin devant la demeure du Prince. Elle est immense. Non, immense n’est pas le mot. Monumentale plutĂŽt. La façade principale comporte un portique d’entrĂ©e dont les colonnes doivent faire entre 20 et 25 mĂštres de haut. L’ensemble du bĂątiment est entiĂšrement blanc. In petto, je me fais la rĂ©flexion que je n’aimerai pas Ă  avoir Ă  le repeindre. Un laquais nous apporte des verres de jus d’orange pressĂ© afin de patienter le temps que le Prince arrive. Il ne tarde pas. J’observe qu’il ne marche qu’avec difficultĂ©, sĂ©quelles, je l’apprendrai par la suite, d’une chute de cheval. Les chevaux sont en effet sa passion et il est le prĂ©sident de la fĂ©dĂ©ration Ă©questre pakistanaise. Nous partons derechef pour une visite des Ă©curies. Les chevaux sont de taille moyenne, sec et harmonieux. J’admire plus particuliĂšrement le dessin caractĂ©ristique de leurs oreilles.

D’un coup, le Prince me lance : veux-tu monter ? Je dĂ©cline poliment, mais on ne refuse rien au Prince. Ses questions ne sont qu’affirmations. Une maniĂšre toute princiĂšre de dire : « monte ! Â»

DĂ©jĂ  mon cheval est harnachĂ©. Orrick n’a guĂšre plus le choix que moi et se retrouve Ă©galement sur un cheval. Un laquais nous guide et nous partons dans la campagne environnante durant deux bonnes heures. 

Au retour, une calĂšche nous attend afin de nous ramener au chĂąteau. A peine revenu, et dĂ©jĂ  nous passons Ă  table. Orrick s’assied Ă  la droite du prince. Mon assiette, dans le sens ancien du terme, est Ă  sa gauche. Deux autres invitĂ©s se joignent Ă  nous. Les serveurs se succĂšdent dans un Ă©trange ballet silencieux. TrĂšs vite, je comprends que si je veux aller au bout de ce repas, il ne me faut prendre que de trĂšs petites quantitĂ©s de chaque plat. 

Sur les murs, moult photos du Prince dans sa jeunesse. Le Prince Malik Ata Muhammad Khan, tel est son nom. Il est, ce qu’on appelle ici un « Nawab Â». Un Nabab en français, vĂ©ritable lord fĂ©odal possĂ©dant pas moins de 86 villages.

Au cours du repas, le Prince me propose de rester le soir afin de l’accompagner le lendemain Ă  une Ă©preuve de « Tent pegging Â».

J’accepte l’invitation avec enthousiasme. AprĂšs tout ce n’est qu’une seule journĂ©e de plus et je peux bien rester deux jours avec les mĂȘmes vĂȘtements. Ce ne sera pas, du reste, la premiĂšre fois.

C’est ainsi que je me retrouve assis Ă  cĂŽtĂ© du Prince Ă  regarder cette Ă©preuve de Tent pegging. D’un coup, il se tourne vers moi, et me pose la question fatidique : « tu veux monter ? Â». Une fois encore la question n’était que de pure forme, car dĂ©jĂ  un jeune garçon amĂšne un magnifique bai-brun devant la tribune d’honneur. Difficile de refuser et je me retrouve Ă  caracoler au milieu de ces 800 chevaux. On me tend une lance : est-ce que je veux essayer ? Cette fois, je me dĂ©file, non sans une hĂ©sitation. Galoper Ă  fond devant cette foule, lance Ă  la main, cela doit valoir son shoot d’adrĂ©naline. L’épreuve se termine tard dans la nuit et nous restons dormir chez un ami du Prince. LĂ  encore, la taille de la propriĂ©tĂ© ne laisse guĂšre de doute quant Ă  la fortune de notre hĂŽte.

Le surlendemain matin, l’intendant m’amĂšne une tenue traditionnelle que j’enfile avec amusement. Ma foi, c’est plutĂŽt agrĂ©able. La difficultĂ© est de nouer le turban. De fait, mĂȘme pour ceux qui en connaissent les subtilitĂ©s, cela est impossible Ă  faire seul. Il faut ĂȘtre deux : celui qui porte le turban et celui qui tient l’autre bout permettant au premier d’enrouler savamment la longue bande de coton autour de sa tĂȘte. Dans mon cas, c’est le prince qui se charge de cette dĂ©licate opĂ©ration. Je me contente de rester immobile. Une fois terminĂ©, je me regarde dans un miroir. Je me sens un peu l’ñme d’un Laurence d’Arabie. Mais mon prĂ©nom n’est pas Laurence. 

Mais dĂ©jĂ  il est l’heure de repartir. Je m’engouffre dans le mini-van qui dĂ©jĂ  se prĂ©sente devant nous. Il n’est plus question pour moi de revenir Ă  Islamabad. Le Prince a, semble-t-il, dĂ©cidĂ© de me faire l’honneur de me faire visiter l’ensemble du Punjab. Je suis littĂ©ralement kidnappĂ©.

La suite du prince se compose de :

  • Jaffar, son chauffeur et secrĂ©taire privĂ©. Un ancien ingĂ©nieur.
  • Dr. Qadeer, l’écuyer en charge de ses chevaux.
  • Mr. Ramzan, responsable de la laiterie du Prince.
  • Mr. Khan, responsable du domaine agricole. 
  • Et enfin, ses deux gardes du corps : Haji M. Ashraf et Saheen. Ce dernier est bien peu effrayant je dois dire avec ses immenses bacchantes blanches malgrĂ© le fusil-mitrailleur qu’il porte en permanence.

Notre destination est une ville situĂ©e au sud du Punjab, Jhang Sadar oĂč se tient un festival. Nous passons d’innombrables contrĂŽles. Normalement, un Ă©tranger qui veut circuler dans ces rĂ©gions doit demander des autorisations spĂ©cifiques : les NOC. Pour ma part, habillĂ© en Nawab et assis au milieu de la suite du prince, je passe sans problĂšmes. Nous passons une bonne partie de la journĂ©e Ă  rouler et le lendemain, nous sommes Ă  pied d’Ɠuvre pour assister Ă  la premiĂšre journĂ©e du festival. Au programme : Tent pegging Ă  nouveau, mais aussi course de lĂ©vriers, lutte traditionnelle, musique et danse. Je suis interviewĂ© Ă  deux reprises. Je commence Ă  en avoir l’habitude : cela doit faire la 5 ou 6Ăšme fois depuis que je suis au Pakistan. Mais c’est la premiĂšre fois que je le fais en tant que « Nawab Â», mĂȘme provisoire. 

A la nuit tombĂ©e, un attroupement compact se forme. Le Prince et sa suite prennent place Ă  l’arriĂšre d’un camion bĂąchĂ© qui fait office de tribune. Il m’invite Ă  m’asseoir Ă  ses cĂŽtĂ©s. Devant nous au milieu de la foule en dĂ©lire, commence un spectacle de « horse dancing Â», chevaux dansants, au son des tams-tams. D’un coup, je change littĂ©ralement de siĂšcle. Le rythme a quelque chose de tribal, le fouet claque, la foule est en transe. C’est tout Ă  la fois brutal et magnifique. Je ne tiens plus et d’un coup, je saute en bas du camion. RĂ©solument je me dirige vers la foule afin de gagner le centre du cercle, tout prĂšs des musiciens et des chevaux. Cela risque de ne pas ĂȘtre une mince affaire : la foule est compacte et je ne suis pas certain de rĂ©ussir Ă  passer. Je pose ma main sur l’épaule d’un premier homme, lequel se retourne. Surpris, il me regarde : un Nawab ! ImmĂ©diatement, il entreprend de me frayer un chemin. Les hommes se retournent les uns aprĂšs les autres et s’écartent respectueusement devant moi. Un policier, positionnĂ© Ă  l’intĂ©rieur du cercle, se charge de faire reculer les plus lents afin de me faciliter encore plus le passage. C’est ainsi que je me retrouve, gopro au poing, juste Ă  cĂŽtĂ© des chevaux, au milieu des musiciens. En dehors de moi, seul le camĂ©raman de la TV pakistanaise a accĂšs Ă  l’intĂ©rieur du cercle. Le soir, Ă  l’hĂŽtel, je vibre longtemps au rythme des tams-tams avant d’arriver Ă  trouver le sommeil.

Du reste, la nuit est courte. A 6 heures, le Prince sonne le branle-bas de combat. A peine ai-je le temps de prendre un cafĂ©, que dĂ©jĂ  nous repartons vers le Domaine. Nous arrivons en fin d’aprĂšs-midi. Le Prince part se reposer. Un laquais m’apporte une collation. Puis l’intendant vient, accompagnĂ© d’un tailleur. L’homme prend mes mesures. Mon nouveau costume sera prĂȘt pour le lendemain matin. J’ai une pensĂ©e pour Utopia restĂ©e Ă  Islamabad. Elle doit se demander ce que je fabrique
 Je ne suis pas Laurence d’Arabie. Mais je deviens Jean-Jacques du Pakistan.

Remerciements : Merci au Prince Malik ATTA pour son hospitalitĂ© durant ces quelques jours passĂ©s auprĂšs de lui. Merci aussi Ă  son Ă©quipe pour ces jours de camaraderies. Merci enfin Ă  Orrick de m’avoir prĂ©sentĂ© le prince ( et Ă  Yasir de m’avoir fait connaitre Orrick ..)

Mise Ă  jour Mars 2020 : Le prince Malik est hĂ©las dĂ©cĂ©dĂ© dĂ©but fĂ©vrier. Qu’il repose en paix.
Voici une vidéo de son enterrement :

Ù†ÙˆŰ§Űš ملک Űč۷ۧ Ù…Ű­Ù…ŰŻ ŰźŰ§Ù† کے Ù†Ù…Ű§ŰČِ ŰŹÙ†Ű§ŰČہ میÚș ŰŽŰ±ÛŒÚ© ŰȘÙ…Ű§Ù… ۭۧۚۧۚ کے ŰȘہہ ŰŻÙ„ ŰłÛ’ Ù…ŰŽÚ©ÙˆŰ± ہیÚș

Publiée par Nawabzada Ch Sher Ali Khan sur Vendredi 7 février 2020

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