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En 2003, je suis partie sur les routes d’Afrique pour un voyage de plus de 16 mois. J’ai souffert, beaucoup, énormément même. Pas mal de casse, surtout au départ. Mais que de plaisirs aussi, que de rencontres, que d’aventures et que de joies ! Parcourir ces pistes de sables ou de latérites, dormir là où la nuit nous trouvait, se réveiller avec le soleil sous le cri curieux de quelques singes de passage, tout cela et bien d’autres choses encore restent d’une intensité de vivre sans égale. Mais, plus de 55 000 km plus tard, il fallut bien revenir. Ce fut difficile, il faut bien le dire.
J’ai été remisée au fond d’un garage, délaissée pour une plus belle, une plus jeune. Quand la porte s’ouvrait, j’espérais une sortie. Même une petite balade d’une heure m’aurait suffit. Juste le plaisir de dégripper mes roues, faire tourner mes culbuteurs, décrasser mes soupapes. Mais non, c’était toujours l’autre qui partait. Il m’avait définitivement oublié. « Il », c’est mon propriétaire. Ses amis disent qu’il est un peu fou. C’est vrai qu’il l’a été sans doute. Un fou passionné, un fou amoureux, un fou tout court. Mais, je trouve qu’il s’est plutôt assagi ces dernières années. Il mène désormais, une vie sédentaire, tranquille et sans risques.
Un matin il est sorti, avec l’autre, ma rivale. Mais le soir venu, ils ne sont pas revenus comme d’habitude. Jalouse, j’ai imaginé qu’ils étaient partis tous les deux loin vers d’autres contrées sur des pistes et des routes sans fins. Je me suis prise à le détester de m’abandonner ainsi dans ce garage.
Au bout de quelques jours, la porte s’est ouverte de nouveau. Mais ce n’était pas lui, juste des étrangers qui ramenait l’autre, celle que je détestais tant, fourche tordue et phare cassé. Avant qu’ils ne repartent, j’ai entendu des mots inquiétants : « accident », « hôpital », « opération », mais la porte s’est refermée avant que je n’ai pu en savoir plus.
Les jours ont succédés aux jours, les semaines aux semaines. Ma rivale n’était plus qu’une moto brisée et nous avons attendu longtemps toutes les deux dans le noir.
Un jour enfin la porte s’est de nouveau ouverte. C’était lui, dans un fauteuil roulant certes, mais c’était bel et bien lui. Il était vivant ! Mais là encore, il ne m’accorda pas un regard. C’était pour elle qu’il venait. Il passa un long moment à évaluer ses blessures. Je l’ai entendu parler au téléphone. J’ai compris que c’était avec l’assurance. Il allait la faire soigner. Moi je continuais de rouiller, seule dans mon coin.
Sa convalescence fut longue. Ma rivale fut sur ses roues bien avant qu’il ne puisse remarcher normalement.
Un matin, il a ouvert le garage. Pour la première fois depuis plus de 10 ans, je suis sortie de mon silence. Non sans une certaine gêne, je lui demandais alors :
- – « Quand repart-on ? »
Il s’est tourné vers moi, interloqué.
- – « Cela fait plus de 10 ans que je suis ici sans sortir, je m’ennuie » continuais-je
Il eut l’air embêté. Il bafouilla, objecta sa blessure, la hanche, le poignet, le genou et le bassin fracturé. Il me parla de son âge, 53 ans, de l’embonpoint qui s’est installé au fil des ans (c’est vrai qu’il a pris au moins 20 kg), du plaisir de cette vie tranquille et paisible qu’il avait désormais.
Il a parlé, je l’ai écouté.
Il s’est tu et lentement s’est dirigé vers la porte. Il fuyait.
Désespérée, je lui ai lancé :
- – « Et alors ? »
La porte s’est refermée, et je suis retournée à mon ennui.
Quelques jours plus tard, la porte s’est de nouveau ouverte.
Dépitée, j’ai pensé qu’il venait pour l’autre encore une fois. Mais non, c’est moi qu’il venait chercher. Non sans mal, il faut dire que je fais mon poids, il m’a hissé sur une remorque et nous sommes partis vers le Sud.
Inquiète, j’imaginais le pire : Aurait-il décidé de me vendre ? Ou pire encore, de me mettre à la casse ?
Au bout de quelques heures, nous sommes arrivés dans un petit village du Sud-Ouest. Un homme est sorti d’une maison. Pas très grand, le cheveu un peu moins noir qu’autrefois, je l’ai immédiatement reconnu : Jean CASTERA, l’homme qui m’avait préparée au grand périple Africain plus de 10 ans auparavant.
C’est à ce moment là que j’ai compris : nous allions repartir !!!
Ah oui, j’ai oublié de me présenter : moi, je suis “l’Africaine”, une BMW R100 GS de 1991, et mon propriétaire un modèle défectueux de 1962. On l’appelle « le Saltimbanque Amoureux ». Allez savoir pourquoi ?!
2 Comments
Coup de coeur pour ton article (entre autres). Va savoir si un jour sous le vent de la vie nos voiles ne se croiserons pas dans un Stan… Ptitscarabee
On adore cet article ! On l’a relu avec les enfants au petit déjeuner. Tout le monde est fan !!
Titou a demandé si sur les photos du nouveau départ c’était bien la même moto, celle qui parle 😉
Bon voyage et gros bisous de toute la famille