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Il y a quelques mois paraissait cet article dans le journal ROAD TRIP MAGAZINE sur une Iranienne assez hors du commun.
Pour tous ceux qui n’ont pas acheté le numéro (mais je vous recommande de les acheter, d’autant que j’y signe des articles très régulièrement), voici l’article en question.
Femme, Iranienne et Motarde … mais pas que …
C’est un banal post publié sur Facebook qui a attiré mon attention sur Maral. Elle y écrivait qu’elle allait bientôt passer la Frontière Iranienne après un tour du monde à moto de 18 mois. Elle expliquait appréhender un peu la chose puisque en tant qu’Iranienne, elle n’avait normalement pas le droit de conduire une moto en Iran. Fichtre, diantre, saperlipopette me suis-je dis. Mais qui est donc cette intrépide demoiselle ? Mon premier mouvement a été de cliquer sur son profil afin d’en savoir plus. Mon second fut de contacter Collin, le rédacteur en chef de Road Trip en lui disant :
- « J’ai un portrait à te proposer, il faut ABSOLUMENT le publier dans Road Trip ! »
Et là, cet imbécile m’a répondu :
- « D’accord »
Il ne me restait plus qu’à espérer qu’elle accepte une interview… J’ai donc le plaisir de vous présenter Maral, une sacrée nana, jugez-en par vous-même.
Bonjour Maral. Pour commencer, comment t’appelles-tu précisément : Maral Maya comme l’indique ton profil facebook ou Maral Yazarloo-Pattrick ?
Maya est mon surnom en Inde où je vis désormais. « Ma » pour Maral et « Ya » pour Yazarloo. Pattrick est mon nom marital.
Peux-tu me décrire ton parcours en quelques mots ?
Je suis née en Iran en 1981 et j’y ai passé mes 20 premières années. J’ai obtenu mon BBA (Bachelor of Business Administration – Baccalauréat en Administration des Affaires) à Téhéran puis j’ai déménagé en Inde il y a environ 16 ans. J’y ai obtenu un MBA puis un doctorat à l’Université de Pune. Suite à cela, j’ai commencé à travailler en tant que directrice des départements « retail » et marketing d’une des principales entreprises indiennes à partir de 2006. J’ai quitté cet emploi en 2017 pour réaliser mon tour du monde.
Cela, c’est Maral, la femme d’affaire… mais il y a également une Maral peintre et une Maral créatrice de mode ?
Tu t’es bien renseigné… Mes amis proches ont tendance à dire qu’il y a cinq ou six Maral. En fait tous ces centre d’intérêt font partie de ma vie, et je passe continuellement de l’un à l’autre. J’ai commencé la peinture très jeune en Iran. J’ai été l’élève de Nami Petgar qui est assez connu au niveau international. Arrivée en Inde, j’ai exposé plusieurs fois. L’une de mes expositions les plus réussi a été pour une chaine d’hôtel bien connue qui a fini par acheter toute ma collection. Mes œuvres sont aujourd’hui toujours exposées dans plusieurs hôtels de luxe en Inde.
Et la mode ?
J’avais toujours rêvé de créer des vêtements, alors une fois mon doctorat en poche, je me suis inscrite à une courte formation à l’Institut Européen de Design de Milan. J’ai créé ma marque en 2012 sous mon propre nom – Maral Yazarloo. Le lancement officiel a d’ailleurs eu lieu à Paris, puis j’ai présenté ma collection à Rome, Dubaï, Londres et dans diverses villes d’Inde.
Et la moto, c’est venu quand et comment ?
En Iran, les femmes n’ont pas le droit de conduire de moto. Par ailleurs, les motos de plus de 250 cc ne sont pas autorisées. Donc je n’avais jamais eu l’occasion d’approcher une moto durant mon enfance. Il y a 7 ans, j’ai reçu un mail de Harley-Davidson qui venait de s’implanter en Inde. Ils avaient joint quelques photos de leurs modèles et j’avoue avoir adoré. Lors d’un déplacement à Mumbai, j’ai pu visiter leur showroom et … j’ai complètement flashé sur le modèle 48. J’ai immédiatement versé un acompte et un mois après j’avais ma première moto. Ce que je ne savais pas alors, c’est que cette moto allait totalement changer ma vie. Très rapidement, je suis devenue la femme ayant parcouru le plus de kilomètres en Inde. Et trois autres motos sont venue rejoindre ma « 48 » : une seconde Harley, une Ducati et une Bmw. En quelques années, je suis devenue totalement accro et on m’a surnommé la « Queen of Superbike ».
Et l’envie de voyage ?
Pendant 11 ans, je me suis concentrée sur ma carrière et j’ai eu la chance de réaliser très jeune la plupart des objectifs que je m’étais fixé. Mais ce faisant, j’avais mis de côté les grandes questions de la vie : Quel est le but de la vie ? Qu’est-ce que le bonheur ? Ma vie était faite de travail avec souvent des horaires de fous : levée tôt, couchée tard, toujours à travailler. Une vie intense mais routinière. Dans mon bureau, j’avais accroché une carte du monde sur laquelle je marquais d’un point rouge, tous les pays que j’avais visité. Un jour, tard le soir, je me suis amusée à les compter : il y en avait 67. Je me suis prise à rêver de tous les faire à moto. C’est comme cela que tout a commencé : en rêvassant devant une carte après une journée de travail.
Dès ce jour, j’ai pris la décision de le faire et j’ai tout mis en œuvre pour y arriver. J’ai fini par démissionner et je suis partie.
Comme cela ? Seule ?
Non, ma mère avait peur de me voir partir seule, alors nous sommes partis à deux. En outre, mon compagnon de voyage était tout à la fois photographe et caméraman et l’idée était de faire un reportage autour de ce voyage. Hélas, quelques mois après le départ, il a eu un sérieux problème de santé et il a dû abandonner. Je me suis retrouvée devant un choix : abandonner également ou continuer seule. J’ai continué. Au final, j’avoue avoir aimé être seule. Cela m’a permis de faire le point sur moi-même et sur ce que j’attendais de la vie.
Donc tu es partie de mars 2017 à septembre 2018. En chiffre, ton voyage cela a été 18 mois de vie sur la route, plus de 110 000 km parcourus, 64 pays et … 7 continents ! Sept ?! Cela veut dire que tu as été en Antarctique ? Quel a été ton parcours ?
Je suis partie de l’Inde ou j’habite vers l’Asie du sud jusqu’en Indonésie. Puis cela a été une première fois l’avion vers l’Australie. Puis avion encore pour les USA, cette fois. A partir de là, j’ai traversé les continents Nord et Sud-Américain jusqu’en Argentine d’où j’ai pu, non sans difficultées, rallier l’Antarctique. De retour en Argentine, j’ai pris une troisième fois l’avion pour l’Afrique du Sud. Je suis remontée jusqu’en Ouganda par la côte Est. Avion encore, jusqu’en Espagne. J’ai parcouru toute l’Europe avant de me diriger vers la Turquie puis mon pays : l’IRAN. De là, j’ai pris une dernière fois l’avion pour revenir chez moi en Inde.
Qu’est-ce qui a été le plus difficile lors de ce tour du monde ? La préparation ? Les formalités ? La route ?
Moi-même. Je veux dire apprendre à gérer mes propres démons et mes angoisses. La route m’a appris à ne pas m’inquiéter de ce qui POURRAIT arriver pour ne m’occuper au final que de ce qui arrive vraiment au moment où cela se produit.
Sur Facebook, tu disais avoir abordé l’entrée en territoire iranien avec appréhension ? Pourquoi ?
Les femmes n’ont pas le droit de conduire une moto en Iran. Et j’ai reçu énormément de message d’Iraniens qui me mettaient en garde. Selon eux, c’était un risque inutile et les autorités pouvaient ne pas l’accepter et même le considérer comme une provocation. J’ai tout de même décidé de le tenter parce que c’est un peu mon combat personnel en tant que femme Iranienne. Mais j’avoue que j’avais peur. A ma grande surprise, je n’ai reçu que des félicitations et des encouragements de tous. A la frontière, ils ont été particulièrement accueillants et attentionnés. Ils m’ont dit être fier de moi et de ce que j’avais réalisé. Durant toute ma traversée de l’IRAN, j’ai été reconnue et récompensée dans les différentes provinces. J’ai même déposé une requête officielle auprès du gouvernement demandant l’abrogation de l’interdiction faites aux femmes de conduire une moto en Iran.
L’Iran est un pays qui effraie souvent les Occidentaux. Lorsqu’on parle de ce pays, l’image la plus souvent avancée est celle de la femme voilée. Que voudrais-tu leur dire ?
C’est absolument faux et c’est le portrait médiatique de l’Iran. Tous ceux qui sont allé en Iran peuvent témoigner de la beauté des gens et du pays et des bons moments qu’ils y ont passés. L’Iran est un pays très sûr et l’hospitalité du peuple est l’une des meilleures au monde ! Pour ce qui concerne le voile, je dirais juste que chaque pays a ses propres règles et que l’Iran aussi a ses règles. Crois-moi, L’Iran est un pays merveilleux doté d’une très riche culture et il ne faut pas hésiter à y aller.
En tant que femme, tu t’es sentie plus vulnérable, plus exposée durant ce voyage, Ou au contraire, cela t’a ouvert les portes plus facilement ?
Je pense que cela m’a ouvert beaucoup de portes. Les familles m’invitaient chez elles. Plus d’une fois, des femmes m’ont abordé à la pompe à essence ou sur la route pour me demander si j’avais un endroit où loger. Je me retrouvais alors systématiquement invitée dans leur maison et je dînais avec toute la famille !
Aux frontières, les douaniers me faisaient passer en premier et traitaient mes papiers en priorité. Partout, j’ai été aidée et respectée en tant que femme voyageant seule à moto.
Il y a quand même eu des moments éprouvants ou effrayants ?
Oui, il y en a eu, mais paradoxalement ce sont maintenant mes plus beaux souvenirs.
Donnes moi 3 exemples.
- J’ai raté mon ferry entre la basse-Californie et le Mexique et je n’ai pas pu être remboursée. Finalement, j’ai réussi à embarquer dans un cargo en pleine nuit au milieu de plusieurs dizaines de camions.
- En Afrique, j’ai eu 3 grosses pannes et j’ai eu toute les peines du monde à trouver des pièces détachées. Là encore, j’ai été bloquée durant plusieurs jours.
- En Patagonie, le vent et de longues heures de mauvaise piste ont eu raison de mon cou. Cela a engendré de forte migraine. Je n’avais pas le temps de me reposer parce que je devais continuer le voyage. Le fait de dormir sous tente et les températures extrêmes n’arrangeaient rien et pour couronner le tout, il m’était impossible de prendre des médicaments parce que j’étais enceinte !
Tu étais enceinte ?!
Oui ! C’est le truc le plus fou de ce voyage. J’ai rencontré, Alexandre, l’homme de ma vie avant mon départ et je me suis mariée au Pérou au Machu Picchu en plein milieu du voyage. Le seul « problème », c’est que je me suis retrouvée enceinte et quand je suis finalement revenue chez moi, j’étais enceinte de 6 mois et une semaine !
Et tu as accouché en novembre, c’est cela ?
Oui ! Une petite fille. Elle se prénomme Nafas Elizabeth. En Iranien Nafas signifie « le souffle de la vie ».
Et tu as été choisie par BBC news pour être une des 100 femmes de l’année… Je suis sans voix. Félicitations !
Merci ! Mais je voudrais ajouter que je n’y serai jamais arrivé sans ma mère et mes frères qui m’ont encouragées et supportées durant tout mon voyage et surtout mon mari, Alexandre, qui n’a pas hésité à prendre l’avion tous les mois (en tout 15 fois !) pour venir me voir tout au long de mon périple. Sans eux, je n’y serais jamais arrivé.
Ce voyage a-t-il changé ton mode de vie ?
Oui… totalement ! cela a changé la perspective de ce que nous appelons la “Réalité” et, dans une certaine mesure, la Vie… cela m’a rendu plus heureuse et m’a définitivement permis de fixer mes priorités !
Une conclusion pour toutes celles et ceux qui voudraient suivre tes traces ?
Croyez-en vous et n’abandonnez jamais. Je suis une personne ordinaire avec peut-être des rêves extraordinaires. Rien de plus.
Et vous pourrez l’écouter parler ici :
1 Comment
Merci pour cet article super intéressant ! 🙂