This article is also available in : English
Voici donc l’intégralité de l’article “la piste oubliée ou à la recherche du tampon perdu” paru dans le précédent numéro de Road Trip Magazine. (numéro 85)
J’en profite pour vous recommander d’aller acheter le numéro 86 qui vient de sortir. J’y dresse, en 6 pages, le portrait d’une jeune personne assez peu commune : Margaux la compagne de Capitaine Morgan (Photo). Elle vient de terminer la traversée de l’Afrique en 19 mois. Un portrait à lire absolument !
En attendant, voici une histoire qui raconte mon passage de la Côte d’Ivoire vers le Ghana (et donc qui chronologiquement se situe AVANT le texte “Suis-je un terroriste” déjà publié ici)
Ces derniers jours, ce n’était pas la grande forme. Il y a eu tout d’abord cette baisse de ma tension artérielle accompagnée d’étourdissements. Puis un soir, de la fièvre et un début de diarrhée. Visiblement, je ne suis plus aussi résistant que naguère. Est-ce un paludisme ? Il faudrait que j’aille dans un hôpital afin de faire le test, mais il est tard et il pleut des cordes. La saison des pluies arrive à grands pas. Dans le doute, je décide de commencer un traitement antipaludisme : le Coartem. Je verrai demain pour le test.
C’est Riad, le mécano devenu ami, qui m’amène le lendemain chez son médecin. Installé à l’arrière de sa moto, je souris. Nous n’avons ni l’un ni l’autre d’équipement de protection. Même pas de casque. Bah, c’est l’Afrique. Et ce n’est pas désagréable de rouler cheveux – enfin ce qu’il en reste – au vent.
Le test est négatif. Mais j’ai déjà commencé le traitement et cela peut cacher l’infection, il me faut donc terminer de prendre ces fichues pilules durant 3 jours.
Est-ce le médicament ? Ma tension reste cette fois anormalement élevée. Je n’y comprends plus rien. Va-t-il falloir que je retourne en France afin que mon cardiologue réajuste ma prescription ? Je commence à l’envisager sérieusement.
Heureusement que Khodor, un motard Americano-libano-Ivoirien et sa joie communicative sont là, accompagnés de ses amis. Le soir, nous partageons de bons moments parfois un peu trop arrosés. Entre deux de ces soirées, il m’arrive également de discuter avec le Roi Noir et ses amis. Le Roi Noir ? C’est un Béninois installé à Abidjan depuis plusieurs décennies. Il fabrique son propre rhum arrangé qui porte son nom. A moins que ce ne soit l’inverse. Il tient également un petit maquis, un restaurant, dans lequel il est possible de déguster d’excellents plats africains, comme du poisson braisé accompagné de ses alocos pour la modique somme de 3000 CFA – soit 4,5 euros. Pour comparaison, au centre commercial ultramoderne tout proche, l’expresso coute 3 euros. Mathurin, c’est le prénom du Roi Noir, a plus de 70 ans, je lui en donnais 60 tout au plus. Une cicatrice, presque effacée, orne son cou, souvenir d’une balle tirée par un rebelle il y a 20 ans. Dans une autre vie, il a été batteur. Aujourd’hui, il vit paisiblement et le soir ses clients et amis viennent pour discuter tout en buvant, modérément, un peu de son rhum. Une bière pour certains. Le WE, il prend son vélo et pédale jusqu’à Grand-Bassam à une trentaine de kilomètres de là.
Je ne vais pas vous mentir, durant ces jours de solitude très relative, je médite énormément. Le doute s’est installé en moi. Que suis-je venu rechercher en Afrique ? Revivre le voyage d’il y a 20 ans ? C’est impossible. L’Afrique a changé. Moi également du reste. Je n’ai plus la même endurance qu’auparavant visiblement. Abidjan, Baptiste et moi l’avions quitté il y a plus de 2 semaines. J’ai dû revenir pour une histoire de dent cassée. Rien de grave, et cela m’avait permis de fêter dignement mes 62 ans en compagnie des propriétaires du restaurant de la route des vins. Une bonne bouteille, offerte par la maison avait été débouchée pour l’occasion et accompagnée d’un excellentissime plateau de fromages. Mais au fond, est-ce vraiment cela que je suis venu chercher ? Même si j’adore ces instants, où est l’Afrique ? Mon Afrique ? Où est l’aventure ?
Les principaux axes ont été goudronnés. Et les réseaux sociaux sont passés par là. L’information est là, immédiatement disponible. Sur Facebook, on trouve foultitudes de groupes d’entraide aux voyageurs. Sur mon smartphone, comme tout le monde, j’ai installé IOverlander. Cette application permet de trouver facilement mécaniciens, consulats, commerces, hébergements et lieux de bivouacs le cas échéant. C’est indéniablement pratique et c’est cette application qui m’avait permis de choisir le mécanicien qui avait refait mon moteur à Katmandou il y a quelques années. Mais encore une fois : où est l’aventure ? Où est l’imprévu, l’inconnu ? Ca en devient – presque – du voyage organisé où chaque voyageur ne fait que suivre les pas de son prédécesseur. Du tourisme. Je n’ai rien contre le tourisme, bien au contraire. Mais c’est un autre état d’esprit, une autre philosophie. Un instant, je songe à renoncer. Cesser cette pérégrination qui m’apparaît d’un coup vaine. Pourquoi ne pas faire demi-tour et rejoindre l’Afghanistan qui s’ouvre aux étrangers depuis quelque temps ?
En « clavardant » (Terme québécois, contraction entre le mot « clavier » et le verbe « bavarder ») avec un ami sur WhatsApp, ce dernier me fait remarquer qu’aventure en anglais se dit « Adventure ». Du latin « Ad » : se diriger vers et « Venturus » : ce qui est à venir.
L’aventure est donc « aller au-devant de ce qui est à venir ». C’est une bonne définition et le pilote de montgolfière que je suis – on sait d’où l’on part, mais jamais où l’on va atterrir – ne la désavoue pas.
Advienne – du latin « Ad » et « Venturus » – que pourra, je continuerai donc cette aventure. Mais en prenant uniquement les chemins de traverse. Le soir, je consulte donc la fameuse application IOverlander en utilisant le filtre « bivouac et hébergement », mais non pour déterminer les endroits où je vais dormir. Plutôt l’inverse : je choisis les secteurs où il y a le moins de ces indications. Afin de déterminer les zones les moins fréquentés par les autres voyageurs. un peu à l’instar des ingénieurs aéronautiques qui durant la Seconde Guerre mondiale avaient décidé de protéger les endroits où il y avait le moins d’impacts de balle sur les carlingues des avions revenant de mission, déduisant que ceux qui avaient réussi à revenir étaient les moins gravement touchés. Ainsi, je l’espère, je retrouverai une Afrique plus authentique (NB bas page : j’exagère un peu en écrivant ce texte, nous avons, de fait, traversé des secteurs reculés en Guinée avec Baptiste, mais ce fut trop court et trop rapide pour mon goût).
Un matin presque à l’aube, soit vers 10 h, le paresseux que je suis repart enfin sous l’œil du Roi Noir qui est là pour me souhaiter bonne route. J’ai décidé de prendre la route vers le nord de la Côte d’Ivoire en suivant la frontière ghanéenne au plus près. Une fois les faubourgs d’Abidjan dépassés, l’autoroute devient route, puis rou-piste et enfin piste. Par rou-piste il faut comprendre une alternance de routes goudronnées, plus ou moins trouées, et de pistes de latérite rouge. Sur ces dernières, le sol reste pour le moment relativement sec entre deux orages. Quelques bourbiers et grosses flaques plus ou moins profondes, mais rien dont lady Pink, ma moto, ne se joue avec aisance. Elle en sera quitte pour un bon lavage de temps à autre, c’est tout.
Le soir, au moment de chercher un bivouac, un problème se pose à moi : je n’en trouve aucun. La région est vallonnée donc pentue, et couverte de végétation. Il me faudrait un hamac, chose que je n’ai pas. Je décide donc de quémander l’hospitalité dans un village, et plante ma tente près d’une église. Le matin, je discute avec le maitre des lieux. Il est à la fois éducateur pour jeunes enfants et catéchiste en l’absence du prêtre.
Au détour de la conversation, il m’apprend que la frontière ghanéenne est toute proche. J’ai prévu de la passer bien plus au Nord, mais par curiosité je vérifie sur google maps. Je ne vois aucune route dans ce secteur et encore moins de postes-frontière. Je vérifie sur les différentes applications de cartographies à ma disposition : rien ! Juste de la forêt. Cela m’intrigue. L’homme est catégorique : « si, si il y a un poste-frontière ! » . Sa femme y va souvent en moto-taxi pour faire du commerce. Ce n’est pas très loin. Et c’est simple pour y aller : il suffit de prendre la piste à droite en sortant du village, puis à gauche après une grande palmeraie et enfin à droite dans la forêt.
Je sens un petit picotement de plaisir mêlé d’appréhension m’envahir.
Une heure plus tard, je m’arrête à la sortie du village. La piste indiquée est bien là. Sur mon GPS, elle semble conduire à un village proche. Mais ensuite, rien, aucune route vers une quelconque frontière. Je demande à une femme assise non loin : « Ghana ? ».Elle m’indique la fameuse piste. J’hésite un instant. Mon GPS m’enjoint de continuer tout droit. Mais il y a cette piste qui m’appelle. L’aventure est là : droite, gauche, droite. C’est simple. Qu’est-ce que je risque ? A part peut-être, de devoir faire demi-tour. Balayant mentalement toutes objections, je m’engage vers l’incertain.
La piste, rouge, serpente au milieu d’une végétation d’un vert rendu plus vif par les pluies nourricières. Après quelques kilomètres, je trouve effectivement un premier embranchement. Des militaires sont en train de manger sous une cabane de bois. Je leur demande la direction du Ghana. D’un mouvement de tête, la bouche pleine, l’un d’entre eux me désigne la piste à gauche.
Assez rapidement, la palmeraie cède la place à la forêt. A un moment, alors que je suis engagé dans une montée assez raide, je vois un petit camion arriver sur moi – le seul que je croiserai du reste. Le chemin est étroit et je suis obligé de serrer à droite à l’extrême bord d’une ravine assez profonde. Las, au moment de repartir, mon pied ripe et la moto tombe lamentablement. A peine debout et déjà 3 jeunes qui venaient d’aider la camionnette à passer un petit bourbier sont auprès moi. La moto est sur ses roues en moins de 5 min.
Quelques kilomètres plus loin, une barrière bloque la voie. Abrités sous une cabane de bois ouverte aux 4 vents quelques personnes se repose, dont une femme et son bébé. Un homme en jogging et T-shirt blanc nourrit des poules caquetantes d’excitation devant le grain tombant à flots. Tout en jetant une dernière poignée, il me souhaite une « bonne arrivée », terme de bienvenue courant en Afrique de l’Ouest.
Je suis à la douane, l’homme qui s’adresse à moi, une gamelle vide grain à la main n’est autre que l’officier supérieur du lieu. D’un grand sourire, il m’invite à m’asseoir à l’ombre, ce que je m’empresse de faire. Près de deux heures plus tard nous sommes toujours en train de discuter. Entre deux éclats de rire, nous avons philosophé sur le monde. Les Occidentaux sont plutôt rares ici et cela fait plus de 1 an qu’il n’en avait pas vu passer.
Dans le ciel, le soleil continue sa course. Il est temps que je reparte si ne je veux pas devoir camper ici le soir. Je sors mon passeport et le lui tends : « il faudrait que tu le contrôles quand même, non ? » Il s’en saisit en riant et le feuillette avant de me le rendre. Il n’a pas de tampon de toute manière.
Je repars.
Quelques kilomètres encore et une nouvelle barrière se dresse devant moi. Celle-là est en acier – la première était en bois – et peint en bleu. Des lettres blanches indiquent que je suis arrivé au Ghana.
Un homme torse nu, s’approche de moi. Il a l’air un peu surpris : qu’est-ce que je viens faire ici ? Il se décide néanmoins à ouvrir puis m’invite à m’asseoir avant de me demander mon passeport. Visiblement, il ne sait que faire du touriste que je suis. Il doit donc en référer à sa hiérarchie. Hélas, le réseau téléphonique capte mal et Il se saisit de sa radio. Au bout d’une bonne demi-heure, il m’informe qu’un de ses collègues va m’escorter jusqu’à un poste d’immigration situé à l’entrée de parc. Enfin, la sortie pour ce qui me concerne. Cette route qui n’existe pas m’a conduit dans un parc national ghanéen. Au moment de prendre congé, l’homme me dit : « il faut que tu me laisses quelque chose ». Je m’exclame « Heeeyyyy, mon frère !!!! » en riant. Il rit à son tour moitié gêné, moitié déçu et nous nous tapons dans la main. In petto, je pense qu’à ce moment de l’histoire, d’aucun(e) aurait fait une vidéo à 8 millions de vues titrant « des douaniers corrompus essayent de m’extorquer de l’argent » au risque de précipiter le pauvre bougre et sa famille dans la misère et l’infamie.
Pour l’heure, j’emboite le pas, enfin la roue, à une moto-taxi sur lequel a pris place le douanier chargé de m’escorter jusqu’à la sortie du parc. Ils sont 3. Le parc est de toute beauté, et je suis impressionné par la taille des arbres centenaires : plusieurs dizaines de mètres pour certains. Juste après un virage, un serpent du plus beau vert se jette sous mes roues. Je n’ai pas le temps d’avoir peur que déjà je suis passé.
A la sortie du parc, la moto-taxi s’arrête devant un nouveau cabanon de bois. Un jeune en short rouge s’empresse d’enfiler un T-shirt vert indiquant sa fonction avant de venir me saluer : Immigration.
Il a l’air, ma foi, tout aussi dubitatif devant mon cas que son collègue de l’autre côté du parc. Il me dit de patienter 5 min. Je lui réponds que j’ai tout mon temps, mais qu’au-delà de 30 min, il devra me payer un coca. Il rit.
Quelques instants plus tard, il m’indique que je dois continuer de suivre la piste jusqu’à la route. Des agents m’attendront sur une moto afin de m’escorter jusqu’au poste de douane où il sera possible de tamponner mon passeport afin d’attester de mon entrée sur le territoire. Après quelques discussions sur le voyage et ma moto, je reprends la route. Enfin la piste.
Pour l’heure, je suis donc toujours clandestin sur le territoire Ghanéen.
Mais plus pour longtemps, arrivé sur la route goudronnée, je trouve effectivement deux hommes qui me font signe de les suivre. Quelques minutes plus tard, nous arrivons enfin au fameux poste. Dans un bureau, deux hommes et une femme me saluent alors que j’entre. La discussion s’engage cordiale, mais avec les questions d’usages : qui suis-je ? que fais-je ? Où vais-je ? Très vite, le ton passe de la cordialité à la franche rigolade. Un fou de blanc qui parcourt l’Afrique à moto ! L’un des douaniers se saisit enfin du tampon tant espéré et m’annonce gentiment qu’il va le faire dans un coin afin de me sauver une page. Hélas, son tampon marche mal, et il est finalement obligé de le refaire sur une page encore vierge.
Mais je ne suis pas encore au bout de mes peines. Il me reste à faire tamponner mon carnet de passage en douane ! C’est d’autant plus important que je n’ai pu le faire à la sortie du territoire Ivoirien. Je leur pose donc la question ; Hélas, ce n’est pas de leur ressort. Cela dépend d’un autre bureau situé à quelques kilomètres de là, bien entendu. Sinon, cela serait trop simple. L’officier prend son téléphone et informe son collègue de ma présence. Il est trop tard pour aujourd’hui. Malgré le faible nombre de kilomètres parcourus, déjà le soleil termine sa course dans le ciel. Il est vrai que j’ai passé plus de temps à palabrer qu’à rouler. L’homme poursuit son conciliabule au téléphone, puis se tourne vers moi et me demande où je vais loger ce soir. Je n’ose répondre que j’avais prévu de bivouaquer et lui indique un hôtel tout proche. Conciliabule de nouveau. Puis, il m’annonce que son collègue viendra demain matin à mon hôtel afin de terminer les formalités.
Bien ! Pas de bivouac donc pour ce soir, mais un bel hôtel avec piscine. La vie est décidément dure.
« Aller au-devant de ce qui va venir » et laisser la porte ouverte aux possibles. C’est cela l’aventure. Ni plus, ni moins.
Ecrit le 1er juin 2024 – Campement forestier de Boin National Park – Ghana
No Comments