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Interview parue dans le Road Trip Magazine numéro 64 (A quelques nuances près de formalisme 🙂 )
Le premier souvenir que j’ai d’Edi, ce n’est pas une image, mais un son. Enfin deux sons. Le rugissement d’une moto pénétrant sous le porche d’un garage à Och au Kirghizistan tout d’abord. Puis une voix forte s’écriant « Hey guys how are you ? ». Je suis sorti sur le perron pour me retrouver face à un solide gaillard d’une vingtaine d’années au guidon d’une magnifique BMW X Challenge préparée raid. Il entamait son tour du monde. Voici l’histoire de son aventure.
Bonjour Edi. Avant toute chose, peux-tu expliquer comment cela a commencé ?
Dans mon fauteuil devant la télévision. J’avais mon permis depuis 2010 et je roulais en sportive. Mon truc, c’était l’adrénaline de la vitesse. Ma première moto a été une Yamaha FZR 1000. De la sensation à l’état pur. Un an plus tard, je passais sur une Suzuki GSX-R 1000 K3. 170 kg pour 170 cv ! Le Graal ! Et puis un jour, je suis tombé sur la série « Long Way Round ». Cela a été la révélation et j’ai décidé de voyager.
Pour cela, il te fallait changer de moto ?
Oui. Au début, du fait de l’émission je pensais qu’il me fallait partir avec une BMW 1150 ou 1200 GSA mais après m’être documenté, j’ai compris qu’il fallait privilégier la légèreté. J’ai hésité entre une KTM 690 Enduro et la BMW 650 X Challenge. Finalement, j’ai choisi la seconde à cause de la fiabilité de son moteur.
Et une fois le choix fait ?
Il a fallu en trouver une et la transformer pour en faire une machine de raid. Après, j’ai fait mon premier galop d’essai en 2013 : la traversée de la Norvège jusqu’au Cap Nord. L’année suivante, en 2014, je suis parti faire la route de la soie. 13 000 km en 6 semaines dont beaucoup d’off-road. En rentrant, le virus du voyage m’avait définitivement contaminé et le 5 aout 2014, j’ai téléphoné à ma mère pour l’avertir de ma décision de partir en tour du monde.
Pourtant tu n’es parti qu’en 2018 ? Soit 4 ans plus tard ?
Oui, c’est le temps qu’il m’a fallu pour économiser assez d’argent. J’avais calculé un budget de 30 euros par jour.
Tu es parti en 2018. Quel a été ton itinéraire ?
J’ai commencé par aller vers l’Est. J’ai passé 2 mois à explorer le moindre recoin du Kirghizistan. Je suis passé par deux cols particulièrement difficiles : celui de Tossor et celui de Kegeti. Les deux s’apparentent plus à des chemins de chèvre qu’à des pistes. Ensuite, cela a été la fameuse Pamir Highway au Tadjikistan. L’hiver arrivant, j’ai gagné le Pakistan assez rapidement en passant par l’Ouzbékistan, le Turkménistan et l’Iran. En arrivant à Taftan, j’ai été mis sous la protection des Lévies, les forces armées Baloutche durant plus de 1000 km. C’est une zone insurrectionnelle et le gouvernement pakistanais ne veut prendre aucun risque. D’ailleurs, lorsque la protection a pris fin à Multan, les autorités m’ont remis une lettre spécifiant que le gouvernement paierait la rançon si je venais à être kidnappé. Ensuite, j’ai exploré le nord du Pakistan. La beauté des paysages et la gentillesse de la population font que ce pays occupe une place particulière dans mon cœur. Après 2 mois, j’ai pris la direction de l’Inde. La population m’a semblé plus froide. Malgré tout, j’ai adoré les sept états frères de l’Extrême-Orient : les États de l’Arunachal Pradesh, du Tripura, de l’Assam, du Meghalaya, du Nagaland, du Mizoram et du Manipur. Au Nagaland, en direction de la Birmanie, j’ai rencontré les Konyak Naga, une tribu connue pour ses tatouages faciaux réalisés après avoir pris la tête d’un ennemi. Puis cela a été le Myanmar, en seulement 5 jours, du fait des contraintes réglementaires. Laos, Thaïlande, Malaisie puis Indonésie d’où j’ai expédié la moto vers Australie. J’y suis arrivé le 7 juillet 2019 et j’ai parcouru le continent d’Ouest en Est en passant une première fois par la Côte-Nord, puis d’Est en Ouest en passant par le centre, et au final à nouveau Ouest en Est en passant par le cote Sud cette fois. Le plus éprouvant a été la traversée du désert de Simpson au centre de l’Australie.
Le 14 novembre, je suis arrivé à Santiago du Chili et j’ai pris la direction du sud vers les Andes, jusqu’au village de Termas del Flaco. C’est le premier village où les survivants du vol 571 de l’armée de l’air uruguayenne sont arrivés après avoir marché pendant 10 jours et passé un col à plus de 4600 m d’altitude en 1972. Ensuite, toujours vers le Sud, je me suis arrêté à Antuco, un volcan d’environ 3000 mètres d’altitude. J’ai réussi à le gravir à moto jusqu’à environ 1800-1900 mètres d’altitude.
Le lendemain, j’ai continué vers le Sud sur la Carretera Austral jusqu’à Villa O’Higgins qui marque la fin de la route. Il m’a fallu remonter vers le Nord pour gagner l’Argentine et de là, aller jusqu’à Ushuaia. La route en elle-même est assez ennuyeuse : une longue étendue d’asphalte balayée par le vent. A Ushuaia, je suis tombé sur une offre de croisière de 11 jours en Antarctique. Le prix était conséquent, 3780 $, mais je n’ai pas hésité et j’ai embarqué. Ce fut une expérience inoubliable. De retour à Ushuaia, j’ai repris la route vers le Chili afin de relever un petit challenge qui me trottait en tête depuis quelque temps : monter le plus haut possible à moto. J’ai donc décidé de gravir le plus haut volcan au monde : le Nevado Ojos del Salado qui culmine à 6 893 m. Les pentes étaient recouvertes d’un sable volcanique et la progression a été ardue dès le départ. À environ 5000 mètres, le moteur a commencé à chauffer et je me suis arrêté pour le laisser refroidir. Un peu plus haut, le sable est devenu blanc et mou. Je n’avais plus d’adhérence et la moto chauffait de plus en plus. J’ai malgré tout réussi à atteindre l’altitude de 5200 m.
Ensuite, je me suis dirigé vers l’Altiplano bolivien puis le Pérou, non sans faire une halte à « La Higuera » le village où le Che fut exécuté. C’est à cette période que la pandémie s’est répandue, fermant les frontières les unes après les autres. Après quelques jours d’incertitude, j’ai décidé de revenir en Norvège. J’ai atterri à Oslo le 3 avril 2020, dans un aéroport désert.
Une histoire t’a-t-elle particulièrement marqué ?
Oui. Je voulais aller de Cochabamba à La Paz, en Bolivie, par la route 25, qui est rarement emprunté car tout à la fois longue, difficile et dangereuse. Les habitants m’ont particulièrement mis en garde contre les hautes eaux du Rio Sacambaya. Mais j’ai ignoré ces avertissements et je suis parti. Sur la première partie, la route, plutôt enchanteresse serpentait au milieu des montagnes. Je suis arrivé sur le fleuve le soir. L’eau était haute, de 70 à 80 centimètres de profondeur et par endroit les courants étaient très rapides. J’ai passé deux heures à patauger afin de trouver le meilleur passage et au final j’ai réussi à trouver une série de gués qui étaient peut-être praticables. Mais cela représentait tout de même 9 bras de rivière à traverser pour arriver de l’autre côté. J’ai hésité, cela m’apparaissait périlleux mais j’ai décidé de tenter l’aventure. Grave erreur ! Alors que j’étais engagé sur le quatrième bras, j’ai perdu l’équilibre. Le courant m’a fauché et la moto a été complètement submergée. Au prix d’une lutte épuisante, j’ai réussi à la trainer sur la berge. La nuit était tombée. J’étais seul et ma moto était complètement noyée. A la lueur de ma lampe frontale, j’ai entrepris de la démonter : dépose du carénage, de la boîte du filtre à air afin d’atteindre les bougies. Une fois celles-ci retirées, j’ai actionné le démarreur pour faire sortir l’eau de la chambre de combustion. Puis j’ai remonté le tout et tenté de démarrer en priant. Et là, miracle : elle est repartie ! Non sans hésitations, j’ai décidé de poursuivre le chemin. C’est de nouveau au 4ème bras de cette seconde partie que je suis tombé. Cette fois, j’ai laissé la moto dans la rivière. Epuisé et transi, j’ai allumé un feu à l’aide d’un peu d’essence afin de me sécher. Sans nourriture et loin de tout, allongé dans la boue, j’ai grillé mon avant-dernière cigarette. Le spectacle de la lune des étoiles était magnifique dans la nuit noire. Je me suis dit que c’était peut-être la fin. Et puis, tout en haut des collines, une lumière vacillante est apparue. Tel un feu-follet, elle s’est rapprochée et j’ai réalisé que quelqu’un avait repéré le feu. J’ai couru traversant le dernier bras d’eau particulièrement profond. Mes sauveurs, parce qu’ils étaient deux, m’ont aidé à sortir la moto et nous l’avons ramené à l’abri à l’aide d’une charrue. Le lendemain, les gars m’ont dit que le Rio Sacambaya avait emporté plusieurs voitures ces dernières semaines et qu’il était assez fréquent que des voyageurs imprudents y laissent la vie. De plus, toute la région est infestée de pumas.
Et maintenant que tu es revenu, avec le recul, quelle est selon toi la partie la plus difficile d’un tour du monde ?
Le retour ! Et le fait d’essayer de s’adapter à une vie sédentaire. Mon corps est de retour, mais mon cœur et mon âme errent encore.
Dirais-tu donc que le voyage crée une forme de dépendance ?
Sans aucun doute ! Je suis devenu accro à l’aventure !
Et une forme de sérénité ?
Oui. Le voyage permet de sortir de la vie trépidante mais routinière moderne. En voyage, la course à la consommation permanente disparaît. A contrario, la route permet d’apprendre à apprécier les petites choses comme un repas chaud ou de l’eau fraîche. Après une semaine de voyage dans le désert, sans confort, la simple sensation d’une douche chaude procure une jouissance incroyable. Nous, les Occidentaux, prenons ces choses pour acquises, ce qu’elles ne sont en aucun cas. Apprécier de l’eau propre ou un bol de riz est une notion oubliée depuis longtemps ! Et pourtant, c’est la liberté ultime !
Selon toi, quelles sont les qualités personnelles essentielles pour un voyage réussi ? La patience ? La tolérance ? L’humilité ? Le respect ?
La curiosité ! C’est la première qualité dont on a besoin pour pouvoir commencer à préparer un tel voyage. C’est le cœur de l’aventure et de la découverte ! Sans le moteur de la curiosité, on ne part pas. Les autres qualités que tu mentionnes sont nécessaires bien sûr, mais seulement une fois parti. L’humilité et le respect sont les premières choses que les autres reconnaissent lorsqu’on les rencontre.
La rencontre avec d’autres cultures est-elle une priorité ?
Dieu a créé tellement de personnes, de cultures, de modes de vie et d’écosystèmes différents que l’exclure d’un voyage serait une hérésie. Quelle différence entre les bergers du Kirghizistan qui montent à cheval et vivent dans des yourtes et les chasseurs de têtes de Longwa en Inde. Le contraste est immense, mais tous sont intéressants et le fait de pouvoir les rencontrer et partager un instant de vie avec eux n’est rien de moins qu’une bénédiction !
Revient-on forcément d’un voyage “plus riche” qu’à son départ ?
Mon tour du monde est LE meilleur investissement que j’ai jamais fait dans ma vie. Quelle meilleure façon d’investir de l’argent que dans soi-même ? Les expériences, les souvenirs et les connexions faites lors des voyages sont quelque chose qu’un être humain emporte avec lui jusqu’à la fin de sa vie. Cela donne de nouvelles perspectives et de nouveaux objectifs pour l’avenir.
Pour toi, qu’est-ce qui pourrait empêcher la réussite d’un voyage ?
Le fait de ne pas être ouvert aux personnes que vous rencontrez et à de nouvelles choses. Si quelqu’un sort dans le monde mais reste dans sa bulle sans vouloir s’en libérer, je pense que cela empêcherait un voyage d’être un succès. Ouvrez votre cœur, votre âme et votre esprit et les choses seront tellement plus belles.
Préfères-tu voyager seul ou avec d’autres personnes ?
Honnêtement, cela dépend de l’humeur et des gens. J’ai surtout voyagé seul, mais parfois l’occasion s’est présentée de voyager avec d’autres personnes. Les amitiés que l’on se fait alors sont particulièrement fortes.
Serais-tu prêt à échanger ta moto contre un 4×4 par exemple ?
JAMAIS ! Quatre roues font bouger le corps, deux roues font bouger le cœur et l’âme !
Ce voyage a-t-il changé ton mode de vie ?
Il n’a pas changé mon mode de vie, il a juste rendu encore plus évident ce que j’attends de ma vie. Je veux explorer le monde ! Mais désormais, j’aimerais le partager avec une compagne.
Et maintenant ?
Si Dieu le veut, je vais repartir ! Il y a encore tant de choses à découvrir, à voir et à vivre. Et je ne connais pas du tout l’Afrique…
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