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Il est un petit recueil que j’aime beaucoup, c’est le livre “La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules” de Philippe Delerm, sorte d’ode aux petits plaisirs de la vie : la première gorgée de bière, avoir un couteau dans la poche, aller chercher le croissant à la boulangerie le dimanche matin, etc.. cela m’a inspiré ces deux petits textes sur la vie du voyageur. Le premier concerne le couteau de poche, ce fidèle compagnon du voyageur. Le second, cet improbable croissant trouvé au bout du monde. J’espère écrire d’autres de ces petits textes si cela plait.. alors n’hésitez pas à commenter.
« Le couteau dans la poche »
Le couteau de Philippe Delerm, c’est un Opinel. Un numéro 6 précise-t-il. Ou alors un laguiole. Il ne sert à rien, ou plutôt si, il sert à se souvenir du passé. A se remémorer ce “grand-père bucolique à la moustache blanche » comme il dit. Il est juste l’odeur d’un temps révolu, celui de la France d’antan. Le couteau de Philippe est nostalgique. Il est devenu inutile. Mais pas celui du voyageur non, bien au contraire. Il lui est indispensable, vital même. Il lui sert à couper le fromage, à trancher l’ananas, ou même encore couper à une branche afin de fabriquer un petit abri à l’aide d’une bâche. Il le garde en permanence dans sa poche, prêt à servir à tout instant. Le mien, je l’ai trouvé sur la berge du fleuve Zambèze, non loin des chutes Victoria il y a déjà plus de 15 ans. La zone, je le savais, était infestée de crocodiles. Et je l’ai vu. Il était là, par terre, sur la berge. Son manche rouge semblait m’appeler. Etait-ce là un appât posé par un crocodile anthropophage ? Ou alors, le couteau qu’un pauvre bipède avait désespérément essayé de sortir avant d’être happé par un carnassier saurien ? J’ai scruté l’eau à la recherche d’un signe trahissant l’éventuelle présence d’un de ces sournois puis je me suis approché pour le ramasser. Il ne m’a plus quitté. Ce n’est ni un Opinel, ni un Laguiole. C’est un cran d’arrêt. Presque un couteau de voyou. Sa large lame en acier trempé, de fabrication allemande donc solide, est presque incongrue lorsque je le sors pour couper un morceau de pain. Le soir, avant de me coucher je le pose près de moi, toujours au même endroit. Protection dérisoire en cas d’agression, homme ou bête, mais il me rassure. En ville, il me faut bien souvent penser à l’abandonner un instant au fond de mes sacoches. Il ne passerait pas les portiques de sécurité. Mais aussitôt revenu dans le désert ou en brousse, il retrouve sa place au fond de ma poche. Prêt-à-servir.
« Le croissant du trottoir »
Le croissant de Philippe, c’est ce plaisir que l’on a de prendre un croissant dans le sac de papier donné par la boulangère, alors que l’on rentre chez soi. Il est tout chaud, sa pâte est molle. Le croissant de Philippe, c’est ce petit plaisir égoïste du dimanche matin.
Le croissant du voyageur est une fête. Il faut le chercher, le débusquer, l’espérer. Il est rare donc précieux. En arrivant dans une nouvelle ville, on scrute les boutiques, les boulangeries. Sera-t-il là ? Verra-t-on une enseigne se revendiquant d’une manière ou d’une autre « boulangerie française » ? Ou French Baker ? Lorsque, joie, l’on aperçoit un signe annonciateur du délice, on arrête la moto, juste en face de l’échoppe prometteuse et presque suppliant, on pose la question fatidique : « Do you have croissant ? ». A Islamabad, oui, il y en a, des croissants beurre, chocolat, amande. On a même le choix. Mais le premier, ce sera un simple croissant beurre. Forcément. Accompagné d’un café. Obligatoirement. Il ne reste plus qu’à s’installer à la terrasse. L’attente est délicieuse, angoissante pourtant : sera-t-il bon ? Sa pâte sera-t-elle tout à la fois tiède et moelleuse tout comme celle du croissant de Philippe ? Ou au contraire sèche et froide, pâle copie des croissants de nos boulangers en maillot de corps fariné ? L’œil inquiet, on scrute l’assiette que déjà le serveur apporte. On saisit délicatement l’objet de notre gourmandise. On le tâte. La pâte toute chaude s’enfonce doucement sous la pression du pouce et de l’index. De l’autre main, on en arrache un petit bout. Le plus petit possible. Juste pour gouter. Il ne faut pas trop en prendre à la fois. Petit bout par petit bout, afin de faire durer. Oh extase, il est semblable à celui de notre vieux boulanger. Le temps s’arrête alors. Il ne reste plus qu’à le déguster, le savourer. En pensant au croissant du dimanche matin. Celui de Philippe. Mais non, le croissant du voyageur est infiniment meilleur. Il est si rare.
2 Comments
A la fin de cette période troublée, ce sera le début du commencement d’un beau voyage, ou je m’enivrerai de cette petite gorgée maltée, de ce petit bout de corne de croissant un peu brulée qui me fera tellement mal juste derrière l’arrière de l’articulation de ma mâchoire. Quelle tendre sensation, quelle douleur douce que ce souvenir du chez soi. Mai c’est quasi certain il sera incomparable et inoubliable ce croissant à Islamabad, ou à Téhéran, ou dans le Pamir, inoubliable car tellement attendu depuis mai 2020.
Inch allah