Article paru dans le numéro 82 de Road Trip Magazine.
Plus jeune, il avait des faux airs de Dustin Hoffman. De fait, ils ont à peu près la même taille : 1m65 pour Dustin contre 1m66 pour Jean. J’ai rencontré Jean pour la première fois la veille de Noël de l’année 2001 dans son magasin à Orthez. Il était en train de vendre une moto. Malgré sa petite taille, il émanait de lui une grande sérénité. Il avait alors 52 ans. Il en a 74 désormais. Sa dense chevelure a blanchi, mais l’œil est toujours aussi pétillant de malice. Son premier Dakar, il l’a fait en 1983. Non pas sur les pistes, mais dans les coulisses : Il était alors assistant en course pour Hubert Auriol. Par la suite, il s’occupa également des motos Gaston Rahier et de Raymond Loizeau.
Jean est originaire d’une famille de mécaniciens deux roues sur plusieurs générations. Son grand-père fabriquait des vélos dans les années 20 à partir de simples tubes d’acier. Il est l’inventeur du dérailleur, dont le brevet fut – mal – déposé lors d’un concours Lépine. Hélas, l’invention lui fut volée par la marque Huret.
Son père lui construisit de ses mains une petite moto rouge de 50 cc qu’il lui offrit pour ses 8 ans.
Vers 20 ans, Jean se prit de passion pour la compétition moto et en particulier l’enduro. Il commença alors à réaliser ses premières préparations sur des bases de BMW. La qualité de ses réalisations le fit être remarqué par BMW France qui lui proposa de concevoir une moto pour Hubert Auriol. C’était en 1982. C’est ainsi que commença pour Jean une longue carrière de préparateur et mécanicien sur cette course mythique.
L’aventure commence dans les locaux d’Arcueil Motor près de Paris, établissement appartenant à Bernard Grenier Monner, dit « Nanard ».
Avec l’aide de son ami Jérôme Boussier, ils conçoivent 3 motos sur des bases BMW R100 RS.
La première est destinée à Hubert Auriol. Les deux autres sont pour Fenouil et Raymond Loizeau.
C’est une équipe de passionnés qui ne connaissent pas d’horaire. Plusieurs bénévoles se joignent à l’aventure. Il y a même un mécanicien de la RATP qui fabrique quelques pièces sur mesure pour eux.
Jean termine la partie électrique de la moto sur le parc des expositions de Paris, quelques heures à peine avant le départ de ce Dakar édition 1983.
Auriol dispose de deux véhicules d’assistance rapide. Jean prend place dans le premier, une Mercedes 280 GE payée par le sponsor, le journal LE POINT. Le chauffeur est Thierry de Montcorget, lui-même pilote ayant détrôné les jeeps au volant d’un buggy sur le rallye des Cimes quelques années auparavant.
La moto est un prototype. Jean doit donc l’améliorer à chaque étape selon les désidératas et remarques d’Hubert. La fourche avant en particulier pose problème. Elle est trop dure et difficile à régler. Mais la durcir a été nécessaire, sans cela elle aurait été incapable de supporter l’énorme réservoir de 47 litres qui équipe la moto.
En plein DAKAR, 17 km avant l’étape de Djanet en Algérie c’est la catastrophe. Thierry de Montcorget pilote cette Mercedes d’assistance comme s’il faisait lui-même la course. Et d’un coup, Jean voit la roue arrière gauche dépasser la voiture. L’axe a été complètement arraché. Pour Thierry l’évidence s’impose : ils sont forfait. En effet, le règlement est très strict : si un véhicule d’assistance est immobilisé alors son équipage, et en particulier le mécanicien est déclaré hors course et ne peut plus assurer l’assistance. Thierry renonce et embarque dans un véhicule de passage. Jean s’accroche. Il passe la nuit, seul au milieu du Tassili, à essayer de réparer. Hélas, cela s’avère impossible. Il faudrait un nouveau pont, ce qu’il n’a pas.
Au petit matin, 3 jeunes passent à proximité en Land Rover. Ils acceptent de remorquer la Mercedes jusqu’à Djanet. Jean charge l’avant droit de tout ce qu’il peut trouver : roue de secours et bagages, afin d’équilibrer le véhicule et c’est donc un curieux convoi qui arrive à Djanet durant la journée. La course, quant à elle, est déjà repartie et Hubert Auriol est loin déjà.
La Mercedes est définitivement irréparable. Jean se résout à l’abandonner. Elle est désossée en quelques heures à peine. Dans le Sahara, rien ne se perd.
Jean est hors course. Il le sait. Mais il n’est pas du genre à renoncer face à l’adversité. Il se sert d’une bouteille d’Armagnac qu’il avait amené comme monnaie d’échange et arrive à embarquer dans un avion, un Dakota en provenance du Tchad et à destination de Tamanrasset. A son bord : marchandises, réfugiés et bétails. Cela va de la poule aux chèvres en passant par des lapins.
Il passe la nuit suivante à dormir sur le Tarmac. Il espère trouver un second avion qui le mènera jusqu’à Agades, ville de la prochaine étape du Dakar. Ce faisant, il n’aurait raté que deux étapes.
A l’aube, le bruit d’un bimoteur à l’atterrissage le réveille. Sur la carlingue lui l’inscription : « Iceland Air ». Jean court immédiatement vers le pilote. C’est un Anglais. Il a été embauché par Thierry Sabine afin de transporter des marchandises. D’abord réticent, mais devant la détermination de Jean, l’homme finit par céder et accepte de prendre Jean à son bord. Il rechigne un peu devant le poids du sac plein d’outils et de toutes les pièces détachées que Jean a réussi à sauver.
En arrivant au-dessus d’Agades, l’aérodrome s’avère invisible ou presque. La ville est sous une tempête de sable. Heureusement au sol, des enfants ayant entendu le moteur se dépêchent de baliser la piste et ils peuvent finalement atterrir sans encombre.
Dans un bar, Jean retrouve Thierry de Montcorget arrivé quelques heures auparavant. Ils décident d’aller ensemble à l’arrivée de l’étape, mais en simples spectateurs puisqu’ils sont désormais officiellement hors course.
Encore une fois, Jean n’est pas du genre à renoncer et sur place, son chemin croise celui de Yves Macaire, directeur communication de BMW France. Il va immédiatement le trouver et lui explique la situation. La course est loin d’être finie, et si le second véhicule devait être déclaré forfait, alors Hubert se retrouverait sans assistance. Ce serait la catastrophe, d’autant qu’il est en tête.
L’argument fait mouche et Y. Macaire va trouver Thierry Sabine.
Que se disent les deux hommes durant cette entrevue ? Quelle fut la teneur des négociations ? Cela restera dans le secret des dieux. Mais Jean est autorisé à suivre la course … à bord de l’avion transportant le matériel d’étapes en étapes.
Cette solution est à la fois avantageuse et problématique.
Avantageuses, parce que c’est la garantie d’être là à chaque arrivée d’étape et donc de gagner un temps précieux afin d’intervenir sur la moto dès son arrivée.
Problématique parce que Jean n’est pas autorisé à embarquer de pièces détachées : il devra se débrouiller avec ce qu’il trouvera sur place à chaque fois.
Deux autres mécanos, dont celui de René Medge profite de l’arrangement pour embarquer dans l’avion.
A bord, Jean se transforme également en mécano aéronautique et très vite les pilotes, qui naviguent sans cartes, mais non sans alcool, lui font confiance pour que l’avion soit opérationnel pour le décollage du lendemain.
Cet arrangement improvisé s’avère finalement déterminant à Kiffa, en Mauritanie, l’une des dernières étapes de la course. Quand Hubert arrive, il annonce à Jean que le cadre de la moto est cassé à l’avant. Ce sont les contraintes imposées par la dureté de la fameuse fourche qui ont finalement eu raison de l’acier.
Immédiatement, et assisté par un mécanicien allemand, Jean entreprend de désosser la moto afin de la réparer. Puis à l’aide d’un vieux poste à acétylène, il soude la partie rompue. Mais cela ne suffit pas, il le sait. Il lui faut trouver un moyen de renforcer le cadre. L’équipe du camion d’assistance Honda, le grand rival sur cette course, lui cède deux démonte-pneus qu’immédiatement Jean soude en renfort le long du cadre.
Il ne reste plus qu’à tout remonter.
Deux étapes plus tard, Hubert Auriol passe victorieux la ligne d’arrivée à Dakar avec comme passager, un grand petit homme brandissant le drapeau BMW debout sur les cale-pieds.
L’année suivante, il participe aux Dakar de 1984 – durant lequel il assure la maintenance de 4 motos simultanément – dont celles de Auriol, de Gaston Rahier et Raymond Loizeau.
En 1986, il boit un verre avec Sabine et Balavoine la veille de leur mort.
En tant que simples véhicules d’assistance, il leur est arrivé de terminer – officieusement – en 20eme position du classement général de certaines étapes.
Il participe une dernière fois au Dakar en 1993 comme mécanicien de son fils… un certain David Castéra.
Il assure également la préparation de motos pour les éditions 1985, 1992, 1994, 2005 et 2006 ainsi que celle de toutes les motos de son fils.
Désormais retraité, il occupe son temps à parcourir le Sahara en 4X4 avec sa femme ainsi qu’à restaurer des motos de collections, principalement des BMW. Parmi celles-ci, de nombreuses motos de légende du Dakar, dont celle que pilotait Hubert Auriol lors de son abandon après s’être brisé les deux chevilles.
Il conserve précieusement la moto d’Hubert de 1983 qu’il a soigneusement remise à neuf.
Pour ma part, et comme modeste voyageur, il a également préparé mes motos depuis 20 ans et assuré mon assistance à distance lors de mes périples.
Merci à toi Jean de ton amitié et de ta confiance.
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